Je m’amuse tranquillement à aligner des mots sur mon ordinateur pour mon prochain bouquin lorsque, insidieusement, mon cerveau commence à reprendre pied dans la réalité.
Une intuition.
Une crainte… légère mais insistante.
Qu’est-ce qui se passe ? Me dis-je avec circonspection.
La réponse m’arrive, brutale, fascinante telle un crotale me fixant de ses yeux fendus.
C’est calme.
C’est trop calme.
Nous sommes jeudi.
Le jeudi c’est le jour de Suzie ma rousse hyper agitée. La semaine dernière elle m’a cassée trois verres en cristal, deux théières en porcelaine de Tolède, un vase Ming de 300 ans d’âge, puis elle m’a emmené faire les magasins pour plus d’un milliers d’Euros, suivi d’un goûter chez Maxim’s, confirmé d’un diner au Savoy et d’une soirée au Club du Marta d’où elle est revenue à peine éméchée mais ayant perdu tous ses vêtements sans savoir ni où ni comment.
C’est ça Suzie.
Je ne vous parle pas de ce qui a suivi par soucis des bonnes mœurs et pour ne pas me valoriser plus que nécessaire mais ce fut chaud bouillant et assez jouissif je dois l’avouer.
Je ne m’en plains pas. Elle met de l’ambiance dans ma vie de célibataire par ailleurs assez tranquille. Ceci étant, heureusement que ce n’est qu’une journée par semaine.
Bon.
Je regarde ma montre.
Nous somme jeudi, il est quinze heures, et pas un bruit.
Inquiétant, mais ne paniquons pas tout de suite.
Vérifier d’abord.
Je me lève, commence à explorer mon vaste appartement dominant la seine du fond de ses trois cents quinze mètres carrés. Personne dans les huit chambres d’amis, personne dans les deux salons, personne dans la salle de séjour, personne dans la cuisine ni dans les deux salles de bains. Où peut-elle être ?
Je monte sur la terrasse végétalisée. Vide.
D’accord, il faut que je me rende à l’évidence Suzie n’est plus chez moi, c’est encore mon vicieux de voisin qui me l’aura piquée. Je l’appelle séance tenante.
– Salut Norbert. Dis-donc, que tu m’empruntes mes affaires passe encore mais tu pourrais au moins me prévenir.
– Mais je t’ai prévenu mon vieux, je t’ai envoyé un SMS lorsque Suzie a déboulé chez moi et Constance est dans ta chambre.
Je vérifie mon portable, c’est vrai, au temps pour moi.
– Ah OK, désolé je n’avais pas regardé mes messages, on se fait une bouffe un de ces soirs ?
– Pas de problème, vendredi de la semaine prochaine, ça t’irait ?
– Ça marche. A vendredi.
Il raccroche, moi aussi. Je vérifie ma chambre, la seule que je n’avais pas vérifiée. Constance, la femme de Norbert, m’y attend selon la loi bien simple des vases communicants. Je n’y perds pas, elle est aussi rousse que Suzie et si ses fantasmes sont moins tumultueux, ils n’en sont pas moins exaltants.
Elle n’est vêtue ou plutôt dévêtue que d’une nuisette bleue chic, sexy et, ma foi, très aguichante.
Une belle soirée en perspective.
Comme je le dis toujours il est particulièrement important d’avoir des rapports de bon voisinage.
Au propre comme au figuré.
Lire et écrire
– Tu écris ?
– Oui.
– Des romans ?
– Entre autres.
– Ça paye ?
– Euh, comme-ci comme ça.
– Combien ?
Il faut l’avouer, Suzie est superbe, intelligente, voluptueuse. Au lit c’est une tuerie, mais je me demande si elle n’est pas un rien mercantile.
– Eh bien mon dernier roman « La Castafiore a les yeux verts » s’est vendu à 100 000 exemplaires… ce qui nous fait…à dix pour cent de droits sur un prix de vente de quinze euros l’exemplaire… voyons…
– Cent-cinquante mille euros.
Quand je vous dis que dès qu’il s’agit d’argent Suzie sait compter.
Elle repose mon roman « Catastrophe à Cagliostro » qu’elle parcourait des yeux, allongée sur le lit, totalement nue à l’exception d’un morceau de couverture légèrement posé sur le bas de ses fesses. Rien de tel pour que j’ai les yeux en billes de loto, le front en sueur et le cerveau façon jelly anglaise rose et gélatineuse.
Et pourtant, j’en aurais bien besoin de mon cerveau pour trouver une sortie de secours avant l’explosion imminente.
– Tu vas m’apprendre.
Baoum !
Encore ?
Mais qu’est-ce que c’est que toutes ces femmes qui veulent absolument que je leur apprenne des choses qui n’ont rien à voir avec mes sujets préférés. Déjà Clémentine et son billard (voir un autre article déjà publié), et maintenant Suzie et l’écriture. J’aime écrire d’accord mais je ne veux pas apprendre à qui que ce soit à le faire surtout pas à une femme sensuelle et érotique comme Suzie. A la fin j’aurais l’impression de faire l’amour à un roman de Balzac ou de Zola. Et on sait combien ces deux écrivains sont peu portés sur la chose. En tout cas dans leurs écrits.
Encore ce serait Victor Hugo. Mais écrire comme le père Hugo, c’est vouloir attraper la lune.
– Pourquoi veux-tu apprendre à écrire ?
– Pour gagner plein d’argent.
Question idiote. Jelly je vous dis.
– Mais tu en gagnes déjà plein.
Suzie, dans les moments où elle n’est pas chez moi, c’est à dire quatre-vingt pour cent du temps, pose pour des magazines et défile plus ou moins habillée dans des soirées plus ou moins privées. Ça paye beaucoup mieux qu’un roman à quatre sous.
Elle me fixe d’un regard doux en se mordant la lèvre. Ce n’est plus de la Jelly, c’est de la mayonnaise.
– Je veux écrire.
– C’est long, ardu, difficile et très ingrat. Il faut des mois pour pondre un bouquin et parfois il ne marche pas.
Ouf, je sens que j’ai marqué un point à voir son mordillement de lèvre qui s’intensifie.
Après un silence assez long elle me lâche.
– Ah !
Je n’aime pas ce « Ah ». Croyez-en ma longue expérience, c’est un « Ah » qui sent le moisi.
– Je sais. Tu vas m’écrire un roman, nous le publierons sous nos deux noms et nous partagerons.
– Euh…
– Ou, mieux encore, écris ma biographie. Ça se vend bien les biographies, non ?
– Euh oui.
– Eh bien voilà !
Voilà quoi ?
Mais je n’ai pas le temps d’en dire plus. Sur ces mots fatidiques elle a bondit, s’est habillée, maquillée en quatrième vitesse, m’a mis un baiser sur le nez, avant de disparaître dans une porte claquée. Un rendez-vous pour un casting où elle serait en retard mais bon, on l’attend toujours.
Tu m’étonnes.
J’ai donc un dilemme.
Soit j’écris la biographie d’une femme de vingt-huit ans et trois quart ce qui risque de faire un volume assez court. Sulfureux mais court. Et puis partager des droits d’auteur avec Suzie, je crains que ce ne soit pas très équitable, un cerveau en Jelly n’étant pas le meilleur outil pour les négocier.
Soit je trouve une raison valable de ne pas le faire, je me trouve plein d’obligations qui m’empêche de la voir, et je trouve une autre femme du jeudi. En même temps si je fais ça, je la connais, elle va me défoncer ma porte, me ruiner mon intérieur et m’arracher les yeux.
Argh !
Je sais.
C’est tout simple finalement. Je vais faire comme à l’habitude avec mes éditeurs quand ils me font une commande. Je vais lui dire que j’écris sa biographie, je vais m’y mettre avec l’ardeur que je me connais, dix ans après on y sera toujours et elle m’aura quitté.
D’ailleurs je commence tout de suite.
Voyons…
Suzie est une femme superbe qui a un joli visage et de gros seins.
Bon début !
Une semaine en i
Je me suis fait la réflexion la semaine dernière que le mois d’octobre est un mois souvent froid et, de plus, que c’est un mois où l’on n’est pas encore habitué à ces températures frisquettes. Pas de problème, que je me suis dit, je vais me prévoir une jolie bouillotte pour chaque jour de la semaine histoire de pouvoir me réchauffer facilement, prendre du plaisir, et bien dormir.
Bonne idée.
Et comme je suis un homme littéraire (Mais si !), j’ai décidé d’en faire un mois en ie pour la rime avec les jours de la semaine en i, et pour le petit challenge supplémentaire.
Aussitôt dit, aussitôt fait.
Je suis comme ça, pragmatique et efficace.
Le lundi, je suis avec Julie, une superbe blonde aux grands yeux bleus et aux seins magnifiques.
Le mardi, c’est Sophie, une petite brune gentille très douée pour les massages voluptueux.
Le mercredi, voici Émilie, une charmante femme aux tailleurs et cheveux courts très secrétaire de direction avec les fantasmes assortis évidemment.
Le jeudi, je me lâche avec Suzie, une rousse flamboyante, rondeurs chaleureuses, tatouages partout, orgasmes à la folie.
Le vendredi, je prends mes RTT d’écriture en compagnie de Vickie, cheveux longs très noirs et pupilles profondes très sombres.
Le samedi, le weekend s’annonce, il faut de l’exotisme, je voyage avec Mélie, une métisse sulfureuse et chatoyante.
Et le dimanche.
Ah le dimanche.
Eh bien j’ai conservé Clarisse dont je ne peux décidément plus me passer. J’ai organisé un bouquet de dimanches somptueux à lui faire faire n’importe quoi ce qu’elle fait particulièrement bien.
Une fois mon petit programme posé, j’étais, je dois l’avouer, assez fier de moi. Un automne qui s’annonçait particulièrement confortable.
Et puis, aujourd’hui, j’ai rencontré Mélanie.
Mélanie a une peau de lait, des yeux noisette à tomber, une bouche pulpeuse à croquer.
Aïe !
Ma semaine est pleine, où vais-je placer Mélanie ?
Je ne peux quand même pas remettre en cause un programme si parfait, et quand à faire attendre Mélanie, ce n’est pas du tout le style de la donzelle.
Pour l’instant, Mélanie est allongée sur mon lit dans une tenue lycra bleu-vert, bas, porte jarretelles, collier de perles et sourire à tomber.
Tout ce que j’aime.
Hum… On va toujours prendre ce qu’on a et on se posera des questions après.
On sonne à la porte.
Je regarde mon calendrier, voyons c’est le jour de…
Au secours !
Billard
C’est un mardi que Clémentine me fit venir chez elle après m’avoir attiré d’un désirable.
– J’ai quelque chose d’original à te montrer.
Bon début.
Je m’attendais à une surprise de bon aloi façon déshabillé coquin ou nouvelle robe transparente, puis un petit thé glamour agrémenté de petits gâteaux, avant de déguster l’après-thé de tradition pour profiter de la surprise comme il sied à toutes personnes de bonne compagnie qui se font des surprises.
Eh bien pas du tout !
Je m’avais enfoncé le doigt dans l’œil jusqu’à la cent-trente-sixième phalange.
Bon, je le sais depuis longtemps, Clémentine est une jolie rousse capable, comme toutes les jolies rousses, d’excentricités tout à fait diaboliques. Avouons-le, c’est une des raisons, parmi d’autres plus sulfureuses encore, qui me fait fréquenter les jolies rousses.
Mais là, je fus soufflé.
Et l’on sait comme il est difficile de me « souffler ».
Dès mon entrée, Clémentine m’emmena devant une porte que je ne connaissais pas dans sa maison qui en comporte plusieurs milliers. Elle a les moyens et apprécie les gigantesques baraques, chacun ses névroses ça ne me regarde pas.
– Je viens de faire une folie.
Ah !
Je l’examinai. Elle portait une robe en velours toute simple agrémentée de quelques diamants anodins, des bas noirs, des chaussures à talons de dix centimètres de hauteur. Rien que de très normal.
Mon inquiétude monta dans les tours. Je craignais le plan foireux. Je tentai une dernière chance.
– Tu portes un bidule caché ?
– Mais non idiot, regarde.
Elle ouvrit la porte.
Mes craintes devinrent aussitôt réalités.
Imaginez une grande pièce avec un long bar sur un des côtés, des bouteilles et des verres en étagères, un parquet ancien en bois vernis, et, au milieu, lourd, massif, un billard français de la plus belle eau surmonté des trois lampes vertes habituelles.
– Une envie brutale en regardant un catalogue chez mon coiffeur. Alors aussitôt, j’ai fait aménager cette pièce la semaine dernière. Je me suis amusée, tu n’imagines même pas.
Qu’est-ce que c’est que ce coiffeur qui a des catalogues de billards à la place d’Ici Paris » ou « Voici » ?
Il n’y a plus de coiffeur.
– Tu sais jouer au billard ?
– Bien sûr que non, tu vas m’apprendre.
Ah ?
– Mais… je ne sais pas jouer au billard français. Encore ce serait un billard américain, je ne dis pas, je sais à peu près tenir une queue et s’il s’agit de mettre des objets dans des trous, je peux à la limite…
– Ah non, ne me parle pas des ces types qui ne parlent pas français. En anglais je suis nulle, en américain c’est pire. Il parait qu’il faut acheter local, c’est ce que j’ai fait, non ? Alors jouons local et pis c’est tout !
Allez répondre à ça !
– Tu vas m’apprendre, et pour te motiver, j’ai eu une idée. A chaque fois que je fais une erreur, tu peux me punir à ta guise.
– Tout ce que je veux ?
– Tout ce que tu veux.
Ah !
Moi il ne faut pas me prendre par les sentiments.
J’ai potassé les règles du billard français et allez vas-y mon gars.
Tous les mardis, de cinq à sept… ou plus, j’enseigne le billard à Clémentine.
Elle est particulièrement peu douée, je suis obligé de la punir sans cesse.
Je ne m’en plains pas, elle non plus. Finalement, le billard est une activité beaucoup plus intéressante que je ne croyais.
Et ce qui va sans doute vous étonner…
Beaucoup plus sportive aussi.
Mondrian
J’étais là tranquillement à lire mon journal de gauche, assis profondément dans mon fauteuil le plus confortable, en fumant un cigare de la Havane, et en sirotant une cuvée 50 ans d’âge dans un petit verre ballon charmant, lorsque la porte de mon salon s’est ouverte à la volée.
Clarisse.
Je n’avais pas revu Clarisse depuis deux jours.
Depuis cette soirée musicale revisitée dont je gardais un souvenir ému autant qu’érotique. (Voir article précédent)
Bien !
J’avais laissé Clarisse, épuisée, dans son joli trois pièces des champs Élysées, à une heure indue dans une tenue tout aussi indue.
Et puis j’avais pensé à d’autres choses.
Et brusquement elle était là. En tenue très chic et plus du tout indue. Un tailleur qui devait être Chanel, une coiffure parfaite, assortis des chaussures Louboutin que je lui ai offert le mois dernier.
Bon d’accord elle récupérait vite et savait apprécier les cadeaux mais…
Dans mon salon.
Sans prévenir.
En pleine après-midi.
Très Clarissien comme concept.
Je n’aime pas du tout.
Je me dis que pour cette fois ça passerait, mais qu’il ne faudrait pas que ça devienne une habitude. Mon salon n’est pas un moulin comme le tapis en véritable poil de Mohair des Andes suffirait à le démontrer et je n’ai pas que Clarisse dans ma vie par ailleurs bien remplie.
– Alexandre, encore !
Quoi ?
Je posais mon cigare avec la délicatesse requise.
– Que veux-tu dire mon poussin ?
Elle se mordit la lèvre. J’aime beaucoup quand Clarisse se mord la lèvre.
– La soirée musicale que tu m’as organisée était trop géniale, j’en veux une autre, tout de suite, demain au plus tard.
Ah quand même ! Ce n’est plus que Clarisse récupérait vite, c’était carrément étonnant. Je revis avec délice cette fin de soirée assez confuse avec tous ces hommes et surtout toutes ces femmes et Clarisse au centre totalement nue.
Et elle en voulait « encore ».
Si vite.
Bien, d’accord, pourquoi pas que je me dis.
Mais changeons. La musique je veux bien, ça adoucit les mœurs… enfin tout dépend du contexte, mais trop de musique tue le plaisir, cherchons un autre art plus silencieux.
Aussitôt j’eus une idée. Je suis comme ça, un homme à idées à condition que le sujet s’y prête.
Et Clarisse question de s’y prêter, elle s’y prête.
– Faisons une performance artistique. Je te propose Mondrian, c’est chouette Mondrian et puis ça a de la gueule.
Elle me regarda, interloquée.
– Je vais te peindre. Une œuvre de Mondrian nouvelle et vivante, une œuvre de Mondrian sur un corps féminin, une œuvre de Mondrian qu’on pourra regarder, toucher et même plus si affinités. Voilà une idée géniale. J’ai un copain galeriste à qui ça devrait plaire.
Clarisse sourit. Elle saisit vite et si c’est vicieux encore plus vite.
Quant à moi, je saisis mon téléphone.
Le copain était enthousiaste. Plusieurs photographes et journalistes à appeler, ses collectionneurs et collectionneuses à convoquer, ça allait être fantastique et ça pouvait se faire vite. Un carton médiatique pour lui et pour moi une soirée amusante qui me ferait mieux connaître. Nous convînmes du lendemain soir à partir de 19 heures.
Lorsque je reposais mon portable, Clarisse était déjà nue.
– Il faut que tu t’entraines si tu veux que ce soit parfait demain. Nous avons toute la nuit pour ça.
Je sortis mes pinceaux.
Rencontre musicale
Clarisse aime la musique classique.
Non, soyons plus précis, Clarisse adore la musique classique. Elle en écoute toute la journée de Mozart à Bach en passant par des noms beaucoup moins courants.
Mieux ! Elle joue de la musique classique sur son piano demi-queue qui encombre son salon.
Et bien de surcroît.
Car Clarisse, est prof de piano et de musique classique.
Je ne le savais pas sinon je me serais sans doute méfié.
Comment imaginer qu’une jolie femme, jeune, habillée avec non seulement du goût mais aussi une certaine perversité non dénuée de charme, des jupes plutôt courtes, des décolletés plutôt profonds, puisse être prof de piano classique.
Pour moi, une prof de piano, c’était une vieille rombière moustachue cacochyme.
Je m’y suis laissé prendre comme une mouche sur une toile.
Alors que faire ?
La musique classique et moi, ça fait au moins deux voir quinze quand je suis dans un mauvais jour.
Mais Clarisse… Aaaaah Clarisse !
J’ai fait contre mauvais fortune bonne musique, je m’y suis mis. C’était ça ou perdre Clarisse.
Je ne suis pas devenu un puits de science dans le domaine, mon domaine ce sont les femmes, mais disons que je suis moins niais et même que j’y prends parfois goût.
Surtout quand Clarisse joue dans un déshabillé particulièrement suggestif.
Ce qui m’a donné une idée.
J’ai beaucoup d’idées, rarement en musique mais plutôt…
J’ai proposé mon idée à Clarisse. Elle lui a plu.
Quand je vous dis qu’elle est perverse.
J’ai donc bricolé avec goût une petite jupe constituée de partitions de Bach, Vivaldi, Mozart, Beethoven, un petit boléro plutôt Ravel, Debussy, Dvorak, Gershwin, et une petite culotte charmante en Gymnopédies de Eric Satie.
Et donc, ce soir, concert exceptionnel de Clarisse. C’est un concert interactif. Le public choisit l’ordre des morceaux en arrachant feuille à feuille les partitions du programme et, du coup, en déshabillant la concertiste.
Clarisse a tenu à ce que ce soit une soirée caritative au profit des artistes lyriques dans le besoin. Le prix n’en est pas donné mais c’est pour la bonne cause.
J’ai contacté mes relations. Étonnamment les femmes, en apprenant le principe de la soirée, ont été les plus enthousiastes. Ne cherchez pas à avoir des places, c’est déjà complet.
A la fin, il y aura une surprise pour le dernier morceau.
J’ai une petite idée…
Que je n’ai pas encore dévoilée à Clarisse mais je sais qu’elle va aimer.
Ça va être super !
Problème de secrétaire
Hier, ma comptable m’a demandé de venir la voir dans son bureau.
J’en ai été ravi. C’est toujours un plaisir.
Oui, j’ai une comptable et non un comptable, qu’est-ce que vous croyez ? Je ne me vois pas discuter de mes affaires de gros sous avec un type poilu, moustachu et sentant la sueur.
Enfin quoi !
Je l’ai choisie en m’attachant aux critères professionnels les plus exigeants. Elle a la trentaine, de longues jambes, des seins bien posés et s’habille toujours de tenues chics, courtes et décolletées.
Hier elle portait un tailleur rouge, jupe très courte, veste cintrée ouverte sur un chemisier à deux boutons déboutonnés.
Quand je vous dis qu’elle est professionnelle.
Elle m’a fixé de ses yeux bleu-pervenche bien dessinés. Ce n’est pas nécessaire pour une bonne comptable d’avoir des yeux bleu-pervenche mais c’est un atout supplémentaire non négligeable.
– Je viens de vérifier vos comptes du premier semestre, ils sont bons et en forte progression.
Voilà un rendez-vous qui commençait sous les meilleurs auspices. J’ai appliqué mon air modeste du parfait chef d’entreprise sur mon visage buriné. Je fais très bien l’air modeste.
– Il y a deux trois points de détail dont nous discuterons ultérieurement…
Impeccable. J’aime beaucoup discuter « ultérieurement » avec ma comptable.
– Mais je voulais vous parler d’un point problématique, votre secrétaire.
Quoi ma secrétaire ? Qu’est-ce qu’Alicia peut bien poser comme problèmes ? C’est ma secrétaire depuis maintenant deux ans. Elle me convient en tous points aussi bien physiques que dans ses tenues. Par exemple aujourd’hui, pendant que j’écris ce compte-rendu, elle porte une petite tenue de secrétaire bien convenable, jupe ajustée très courte, bas et porte jarretelles rouges, chemisier blanc totalement ouvert sans soutien-gorge, cravate bleue et chaussures assorties à très hauts talons.
Je ne vois pas ce que l’on pourrait reprocher à une telle perle !
– Son salaire.
– Son salaire ?
– Mais oui, 4000 euros net sans compter les primes, plus 2000 euros de frais d’habillement, n’est-ce pas un tantinet exagéré ?
– Vous connaissez la difficulté pour trouver une bonne secrétaire ?
– Je sais.
Lucinda – ma comptable s’appelle Lucinda – s’est mordu la lèvre ce qui lui donne un air coquin que j’apprécie particulièrement.
– Mais voyez-vous, au vu des relevés comptables et des courriers qu’elle m’envoie, je pense qu’elle n’est peut-être pas si compétente que vous le pensez.
Je l’ai regardée fixement sans rétorquer. Comme toujours lorsque je l’applique, mon regard fixe déstabilise mon interlocutrice. Lucinda, ennuyée, a tiré sur sa jupe d’un geste assez révélateur.
Mais elle est têtue.
– Je pense qu’aujourd’hui, vous pourriez tout à fait vous passer de votre secrétaire pour un ordinateur performant avec un logiciel de comptabilité et une IA adaptée. Cela aurait de meilleurs résultats pour votre entreprise et serait largement moins onéreux.
– Ma secrétaire m’est indispensable, je ne veux et ne peux m’en passer.
Lucinda s’est mordillé le bout des ongles oubliant sa jupe qui est remontée. Tout allait donc très bien.
Mais elle est vraiment têtue.
– Écoutez, envoyez-moi un mail pour m’expliquer toutes les compétences que vous apporte « soi-disant » votre secrétaire et je vous garantis qu’une IA et moi pourront la remplacer avantageusement.
D’accord.
Je suis sorti de son bureau avec un dernier panoramique sur ses jambes fabuleuses. Après tout, peut-être avait-elle raison.
Le soir même, car je suis un gars efficace et pragmatique, je lui ai envoyé par mail le détail circonstancié des divers talents de ma secrétaire.
Ce matin, car ma comptable est non moins efficace, j’ai reçu ce mail laconique que je conserverai dans ma boite car il me plait beaucoup.
« Gardez votre secrétaire ».
Peinturluresque
Vous n’allez pas le croire, mais moi, qui suis pourtant d’habitude un garçon subtil et disons le incroyablement intelligent, il m’est arrivé, il y a quinze jours, une aventure où j’aurais pu me poser carrément des questions.
Je vous explique…
Depuis quelque temps Aurélie avait des velléités de peinture.
Quand je dis velléités, je devrais plutôt dire obsessions.
Elle entrait dans une pièce, n’importe laquelle, la regardait d’un air fin, en connaisseuse qui sait de quoi il retourne grâce à des études longues, approfondies, récompensées du diplôme ad-hoc, et me disait.
– Tu devrais repeindre cette pièce, un petit orange à pois roses irait bien mieux avec ton canapé régence que ce ton vert fadasse qui tue totalement ton Van-Gogh.
Ou encore…
– Crois moi, ta cuisine en rouge pissenlit couplé d’un orange hortensia bien crémeux créerait une ambiance conviviale bien plus propice à des mets succulents pour des gens de qualité que ce blanc sans consistance.
Ah !
Je n’aime pas les travaux, je n’aime pas les odeurs de peinture, je n’aime pas qu’on me bouscule mon intérieur sous prétexte de l’améliorer, j’aime ma maison comme elle est, mes murs de la couleur qu’ils sont, et mon Van-Gogh de la folie qu’il transporte.
Alors je répondais d’une façon tout à fait vague. Je suis très doué en façons vagues.
– Moui, bien sûr, bien sûr. Et si on allait plutôt t’acheter cette robe en soie sauvage du Maroc qui te faisait envie comme à moi.
Car il faut dire qu’Aurélie dans une robe en soie sauvage du Maroc c’est mieux qu’un ananas gorgé de rhum, ça fond sous la langue, c’est délicieux, et ça fait tout sauter.
On achetait la robe, je me pensais tranquille.
Pas du tout. L’après-midi, le soir même, le lendemain au mieux, elle recommençait ses allusions peinturlufériques.
Bon, j’ai craqué.
Je craque toujours quand une femme, surtout une Aurélie, me prend par les sentiments dans une nuisette transparente avec à peu près rien en dessous.
Je peux être très compréhensif.
Et puis l’imaginer, montée sur un escabeau, robe blanche à pois rouge relevée, jupon transparent et porte jarretelles assorti, un pinceau dans une main, ses jambes dans les miennes, m’a persuadé que je faisais le bon choix.
Je lui ai donc laissé une buanderie désaffectée pour s’amuser, pas trop loin pour pouvoir intervenir au besoin, mais pas trop près si elle devait faire du barouf, et hop là, qu’elle puisse exprimer toute sa créativité.
Et moi aussi.
Je fus naïf.
Ce qui m’arrive de moins en moins heureusement, l’âge a de ces prescience qui nous évite bien des désagréments.
Mais cette fois, je fus naïf.
Je pensais qu’elle allait acheter un matériel sympa, s’exprimer avec joie fulgurante et taches fulgurées dans cette buanderie digne de son don artistique enfin débridé. Je pensais que de temps en temps j’irai la déranger amicalement dans son labeur coloriférant.
Pas du tout.
Elle s’enferma direct m’affirmant que, sinon, il n’y aurait pas de surprise.
Surprise ? Comme si j’avais envie de surprises !
Je me demande comment j’ai pu être aussi naïf.
Mais je la crus et vaquais donc à d’autres occupations qui ne s’appelaient pas Aurélie mais qui étaient bien occupantes aussi.
Ce qui fait qu’elle me sortit un peu de l’esprit avec sa buanderie, ses arc en ciel multicolores et ses surprises.
Jusqu’au vendredi soir où mon valet Horace vint me prévenir que les peintres d’Aurélie voulaient être payé pour leur travail.
Les peintres ?
Pour leur travail ?
Elle ne peignait donc pas seule.
Ils étaient deux. Normal, un seul n’aurait pas suffi.
Superbes, élancés, musculeux, pas plus peintres que vous ou moi je vous en garantis.
Alors je pris la seule bonne décision. Je payai ces messieurs le triple de ce qu’ils demandaient à la condition qu’ils emportent Aurélie avec leurs pinceaux.
– Mais qu’allons-nous en faire ? Me dirent-ils.
– Vous trouverez bien. Il ne manque pas de vieux messieurs qui ont besoin d’une petite femme pour refaire leur peinture et leur intérieur.
Ils ont trouvé.
Il parait, aux dernières nouvelles, qu’elle serait chez le comte de P…. Je le sais car un ami m’a assuré que son château était maintenant rose des douves aux tourelles.
– Et tu verrais ça, il vit avec une petite femme superbe et jolie… jolie… on la croirait dessinée par un peintre. Si tu veux je te la présenterai.
– Ah non, merci, je ne fréquente plus les femmes dessinées par des peintres, j’ai trop peur de me tacher sur la peinture fraiche.
Il a ri.
Pas moi.
Le rêve
– J’ai encore fait un rêve bizarre cette nuit.
Aïe !
Quand Michelle fait un « rêve bizarre », en général c’est plutôt un rêve non pas « bizarre » mais totalement taré et généralement elle en a pour une heure d’explications au bas mot.
J’aime bien Michelle mais je n’ai pas le temps pour ses rêves « bizarres ».
Ceci étant, vouloir arrêter Michelle quand elle veut te raconter un rêve qu’elle a fait c’est comme vouloir calmer un ouragan avec une fourchette en plastique, autant laisser la maison s’envoler et basta.
Alors je la laisse me suivre dans l’ascenseur, me poursuivre dans le hall, et monter dans ma voiture. Je regarde les cours de la bourse en l’écoutant d’une oreille distraite. Car si on ne fait pas mine de l’écouter, Michelle se vexe et là, ça peut être encore plus long.
– J’étais en train de voler au dessus de la mer qui était verte emportée par un avion de papier qui était blanc mais géant. Je tenais à la main une petite ombrelle très mignonne et trois charmants nuages coquins m’accompagnaient.
– Mais oui, mais oui.
Il semblerait que les actions de Glencore Baar soient en progression ce qui est une bonne nouvelle car j’en suis le président directeur général.
Bien !
– Bon ça c’est normal, ce n’est pas la première fois que je le rêve, mais ce qui était étrange cette fois, c’est que je n’étais habillée que d’un corset gris court et d’une petite culotte à volants du plus charmant effet.
– Mais oui, mais oui.
Quant à Exor. Slough. , eh bien ça ne va pas mal du tout à condition bien entendu de remplacer son directeur général, John Elkann. Un bon parachute doré et on n’en parlera plus.
Très bien !
– Et puis, il faut bien l’avouer, ces petits bas au dessus du genou, c’est vraiment craquant.
– Mais oui, mais oui.
Pour ce qui est de Morgan-Stanley, on doit pouvoir faire mieux si…
Qu’est-ce qu’elle dit ?
Je repose mon ordinateur, regarde plus attentivement Michelle.
Je m’en doutais.
Si elle n’est pas sous l’avion de papier dont elle parle, si elle ne tient pas le parasol, par contre elle est conforme au reste de sa description.
Alors j’ai fait ce que vous auriez fait à ma place, j’ai demandé à Stanley, mon chauffeur, de nous déposer devant mon appartement de Regent Street. J’ai toujours quelques minutes à consacrer au rêve, c’est normal, quand on est dans les affaires il faut être créatif.
La seule chose qui me pose encore problème, c’est pourquoi, pendant que j’emportais ma proie vers mon dernier étage avec terrasse, j’ai entendu Michelle murmurer.
– Eh bien, quand même !
Le café
Il y a une femme dans mon café.
Je m’approche un peu plus pour mieux voir.
C’est Daphné.
Que fais Daphné dans mon café du bar de la Place de la Mairie qui, comme son nom l’indique, est on ne peut plus tranquille d’habitude ?
Jusque là, les expresso qu’ils servaient dans ce bar n’avaient pas de goût mais pas de créativité non plus. Des expressos rassurants en un mot.
Et puis voilà…
Daphné.
Bon il est vrai que Daphné a toujours su se mettre dans des situations pas possibles. Il est certain d’autre part que j’aurais du l’appeler depuis plus de trois jours et que, de peur de savoir dans quelle catastrophe elle s’était encore fourrée, je ne l’ai pas fait. J’aime beaucoup Daphné. Elle a un petit grain de beauté juste là que j’adore particulièrement, du souffle et de la résistance, mais bon, c’est une mine d’ennuis, et parfois, les ennuis, moins j’en ai mieux je me porte.
Tant pis. Daphné dans mon café ce n’est pas possible, je l’appelle.
Pas le temps. Mon portable affiche « Daphné » en lançant le cri rageur que j’ai placé pour elle.
– Allo ?
– Coucou, devine, c’est Daphné. Je t’appelle parce que je viens de rêver que j’étais toute nue dans ton café et qu’il était trop chaud.
– Ah ?
– Mais il y a au moins trois jours que tu ne m’as pas appelé mon cochon et voilà le résultat, je rêve de toi… et toute nue encore.
– Euh… oui… je…
– Mais ça tombe bien que je t’ai, tu vas pouvoir m’aider, parce qu’il m’arrive une de ces emmerdes, tu ne vas pas le croire… Tu as toujours ton pistolet.
Et merde !
Je regarde mon café, plus de Daphné.
C’est toujours ça.






