Le rêve

– J’ai encore fait un rêve bizarre cette nuit.
Aïe !
Quand Michelle fait un « rêve bizarre », en général c’est plutôt un rêve non pas « bizarre » mais totalement taré et généralement elle en a pour une heure d’explications au bas mot.
J’aime bien Michelle mais je n’ai pas le temps pour ses rêves « bizarres ».
Ceci étant, vouloir arrêter Michelle quand elle veut te raconter un rêve qu’elle a fait c’est comme vouloir calmer un ouragan avec une fourchette en plastique, autant laisser la maison s’envoler et basta.
Alors je la laisse me suivre dans l’ascenseur, me poursuivre dans le hall, et monter dans ma voiture. Je regarde les cours de la bourse en l’écoutant d’une oreille distraite. Car si on ne fait pas mine de l’écouter, Michelle se vexe et là, ça peut être encore plus long.
– J’étais en train de voler au dessus de la mer qui était verte emportée par un avion de papier qui était blanc mais géant. Je tenais à la main une petite ombrelle très mignonne et trois charmants nuages coquins m’accompagnaient.
– Mais oui, mais oui.
Il semblerait que les actions de Glencore Baar soient en progression ce qui est une bonne nouvelle car j’en suis le président directeur général.
Bien !
– Bon ça c’est normal, ce n’est pas la première fois que je le rêve, mais ce qui était étrange cette fois, c’est que je n’étais habillée que d’un corset gris court et d’une petite culotte à volants du plus charmant effet.
– Mais oui, mais oui.
Quant à Exor. Slough. , eh bien ça ne va pas mal du tout à condition bien entendu de remplacer son directeur général, John Elkann. Un bon parachute doré et on n’en parlera plus.
Très bien !
– Et puis, il faut bien l’avouer, ces petits bas au dessus du genou, c’est vraiment craquant.
– Mais oui, mais oui.
Pour ce qui est de Morgan-Stanley, on doit pouvoir faire mieux si…
Qu’est-ce qu’elle dit ?
Je repose mon ordinateur, regarde plus attentivement Michelle.
Je m’en doutais.
Si elle n’est pas sous l’avion de papier dont elle parle, si elle ne tient pas le parasol, par contre elle est conforme au reste de sa description.
Alors j’ai fait ce que vous auriez fait à ma place, j’ai demandé à Stanley, mon chauffeur, de nous déposer devant mon appartement de Regent Street. J’ai toujours quelques minutes à consacrer au rêve, c’est normal, quand on est dans les affaires il faut être créatif.
La seule chose qui me pose encore problème, c’est pourquoi, pendant que j’emportais ma proie vers mon dernier étage avec terrasse, j’ai entendu Michelle murmurer.
– Eh bien, quand même !

Le café

Il y a une femme dans mon café.
Je m’approche un peu plus pour mieux voir.
C’est Daphné.
Que fais Daphné dans mon café du bar de la Place de la Mairie qui, comme son nom l’indique, est on ne peut plus tranquille d’habitude ?
Jusque là, les expresso qu’ils servaient dans ce bar n’avaient pas de goût mais pas de créativité non plus. Des expressos rassurants en un mot.
Et puis voilà…
Daphné.
Bon il est vrai que Daphné a toujours su se mettre dans des situations pas possibles. Il est certain d’autre part que j’aurais du l’appeler depuis plus de trois jours et que, de peur de savoir dans quelle catastrophe elle s’était encore fourrée, je ne l’ai pas fait. J’aime beaucoup Daphné. Elle a un petit grain de beauté juste là que j’adore particulièrement, du souffle et de la résistance, mais bon, c’est une mine d’ennuis, et parfois, les ennuis, moins j’en ai mieux je me porte.
Tant pis. Daphné dans mon café ce n’est pas possible, je l’appelle.
Pas le temps. Mon portable affiche « Daphné » en lançant le cri rageur que j’ai placé pour elle.
– Allo ?
– Coucou, devine, c’est Daphné. Je t’appelle parce que je viens de rêver que j’étais toute nue dans ton café et qu’il était trop chaud.
– Ah ?
– Mais il y a au moins trois jours que tu ne m’as pas appelé mon cochon et voilà le résultat, je rêve de toi… et toute nue encore.
– Euh… oui… je…
– Mais ça tombe bien que je t’ai, tu vas pouvoir m’aider, parce qu’il m’arrive une de ces emmerdes, tu ne vas pas le croire… Tu as toujours ton pistolet.
Et merde !
Je regarde mon café, plus de Daphné.
C’est toujours ça.

Les roses

Elle regardait l’échoppe de la fleuriste, songeuse.
A quoi pouvait-elle penser ?
A un amoureux peut-être, à sa mère, ou tout bêtement à une envie de fleurs.
Je m’approchai, lui murmurai à l’oreille très doucement.
– Et si un inconnu vous offrait des fleurs ?
Elle ne bougea pas, à peine un clignement de ses cils qu’elle avait longs.
– j’en serais ravie.
– Ne bougez pas.
J’entrai dans la boutique, lui commandai un bouquet de roses rouges magnifiques, revint, mis un genou en terre.
– Permettez-moi, belle inconnue, de vous offrir ces roses en gage de mon admiration éternelle.
Elle sourit, prit le bouquet.
– Et maintenant, me lancai-je tout à mon enthousiasme, me permettez vous de vous offrir des fleurs d’un autre cachet, des fleurs peintes sur votre corps nu que j’imagine d’albâtre. Je suis dessinateur voyez-vous et j’aime dessiner des fleurs sur les femmes qui me plaisent.
Elle sourit derechef, ni surprise ni choquée.
– Mais bien volontiers, conduisez-moi à votre atelier, je serai ravie d’être croquée par vous…
Sans laisser le temps changer la donne je la précédai vers mon atelier tout proche, elle, ma belle inconnue superbe, parfumée des roses de ce bouquet aussi rouge que sa bouche vermeille.
– Ce sera cinq-cents francs, me dit-elle …parce que c’est vous.

Cendrillon

 

Les jambes étaient longues, belles. Il rêvait d’elle le nez aux oiseaux, le sourcil un peu froncé, concentré.

– S’il te plait ! lui-dit-elle. Invente-moi une histoire, un jeu !

– Un jeu qui serait une histoire, j’ai ça. Jouons donc à Cendrillon.

Elle sourit.

– Cela semble évocateur. Raconte.

– Pour cette histoire, il te faut des chaussures. As-tu, dans ta garde robe à multiples facettes, des escarpins de vair ou de verre ?

– J’ai des escarpins de plastique, transparents comme de l’eau claire.

– Mouich. Cela pourra faire l’affaire mais n’en abuse pas. Possèdes-tu une tenue de princesse, des bas de princesse, des dessous de princesse.

– Oui. J’ai toujours rêvé d’être une princesse.

– Alors va te préparer, je t’attends dehors pour t’emmener au bal.

Elle courut se faire merveilleuse.

Elle commença par le maquillage qui fut long, compliqué, car les deux premiers essais ne lui convenaient pas.

Elle continua par des dessous de satin, puis de soie, s’attarda sur une dentelle, choisit une transparence de vair ou de verre, revint à la soie, plus chic, assortie aux bas de même matière.

Elle avait huit robes qui pouvaient convenir. Après une série d’essais non couronnés de succès, elle opta pour la treizième, glamour, vintage, et chiffre porte bonheur.

Tout était parfait, les escarpins lui seyaient, il ne restait que les bijoux, ce fut un peu long. Elle opta pour une rivière de diamants et deux boucles de corail clair.

Quand elle sortit, joyeuse, les lampadaires éclairaient la nuit.

Bien noire.

Bien tard.

Sur une citrouille posée devant la porte de son loft de princesse, un mot prétendait.

« Il est minuit passé, ma jaguar s’est transformée, je suis parti avec la fée ».

A Paris

A Paris.
Descendre un escalier.
Regarder la seine qui est si grise, les péniches qui sont si longues, le ciel qui n’est pas si bleu, les arbres, les passants qui passent sans vous regarder.
Admirer les femmes qui sont si belles.
Et puis croiser une beauté qui remonte pendant que vous descendez.
S’arrêter.
Faire demi-tour, ré-escalader quatre à quatre, l’air de rien.
En arrivant sur le quai, essoufflé, la découvrir dans les bras bêtes et musclés d’un bellâtre plus beau que vous.
Râler.
Se dire : Mais qu’est-ce que je fais là ?
Se demander : Mais où j’allais déjà ?
Et redescendre…
Un escalier.
A Paris.

Photo : L’intemporelle éphémère

Des airs

 

‒ Tu sais que tu ressemble prodigieusement à Carole Bouquet ce matin. J’adore Carole Bouquet.

Elle tourne la tête, l’observe, l’œil froid. Allongé sur le lit dans la fausse pause décontractée qui l’avantage, il est plutôt beau gosse, on ne peut pas dire. Ventre plat, jambes musclées, bras souples, gueule d’ange, vingt-huit ans.

Con comme une valise.

‒ La semaine dernière, je ressemblais à Cyd Charisse, il y a deux jours c’était Lauren Bacall, hier Grace Kelly et maintenant Carole Bouquet. Ce n’est plus un carnet de rendez-vous, c’est un étalage de fleuriste.

‒ Que des stars, et de quelle classe !

Il arbore ce sourire fat qu’elle ne supporte déjà plus après à peine quinze jours.

‒ Et, sais tu seulement comment je m’appelle… vraiment.

‒ Mais oui… Evidemment… euh…

Elle laisse planer le silence une poignée de secondes puis presse le bouton de son majordome beau, chic, baraqué et toujours un peu jaloux.

‒ Charles ? Une merde à débarrasser.

Il a l’habitude.

Apparition

Le meilleur moment de la journée.

Huit heures du matin. Du soleil, de la chaleur mais pas trop.

Assis confortablement dans mon fauteuil de rotin préféré, devant ma table en teck lustré, un café chaud à point dans un bol de faïence clair, deux tranches de pain complet recouvertes d’une fine couche de beurre, alignées en parallèle dans l’axe exact de la petite cuillère, un kimono de soie rouge-bordeaux agencé gracieusement sur mon corps musclé, la baie vitrée qui baigne la pièce d’une clarté rose orangée.

Bien.

Je prends un morceau de sucre de canne, le fait glisser doucement vers le liquide fumant.

Ne pas éclabousser.

A cet instant précis, la porte blindée de mon appartement… de célibataire s’ouvre en coup de vent. Mme A.A., l’une de mes clientes, je suis gestionnaire de patrimoine à mes moments perdus, traverse la pièce dans un élan efficace assorti d’un tailleur-chanel gris du plus bel effet, pour disparaître derrière la porte côté jardin, ma chambre.

Il semblerait que j’ai encore oublié de fermer à clef hier. Argh !

Je pâlis.

Vision hallucinée de mon imagination scabreuse ou réalité fulgurante ?

Qu’est-ce que la femme d’un industriel coté en bourse pourrait bien fiche dans mon appartement… de célibataire ?

J’envisage le pire.

Je palis derechef.

Foin des hypothèses triviales, restons dans le pragmatique. Je repose délicatement le second sucre déjà préparé, me lève, organise mon kimono élégamment sur mon corps d’adonis, puis ouvre la porte susdite d’une poigne ferme.

Je reste béant.

La dame est allongée sur mon lit… de célibataire, n’ayant conservé sur son corps d’albâtre qu’un frisson de dentelles, un porte-jarretelles, une paire de bas sur une paire de jambes si longues que j’en ai des frissons, et deux petites chaussures qui ne demandent qu’à être enlevées.

─ Ce crétin couche encore avec une de ses greluches de secrétaires, alors, c’est décidé, je le trompe avec mon banquier.

Elle conclut, joliment boudeuse.

─ C’est plus chic.

Sans attendre, elle se bande les yeux, s’alanguit sur ma couverture d’alépine blanche et crie… mais avec distinction.

─ Je suis à toi. Fais de moi… tout ce que tu voudras !

Ah.

Qu’auriez-vous fait à ma place ?

Je sors de la chambre, traverse jusqu’à la porte blindée, la ferme à triple tour, vérifie que les cinq serrures sont bien dans leurs clenches. On n’est jamais trop prudent.

Et retraverse dans l’autre sens pour lui faire… tout ce que je voudrai.

Je ne perds jamais une cliente.

C’est un principe.

Commercial.

Photo : Alcina Aubade

 

Magique… ou pas !

Ce matin, je me lève d’assez mauvaise humeur. Le matin n’est pas ma tasse de thé ou plutôt si car je déteste le thé.
J’ouvre ma porte, envisageant de prendre ma voiture pour aller à un rendez-vous qui m’attendait avec quelque impatience croyais-je mais vous allez voir que ce n’était pas complètement vrai.
Et qu’est-ce que je découvre ?
Qu’il pleut à seau, à verse, à tombereaux entiers, que c’en est une pitié toute cette eau jetée en pure perte sur la voie publique.

Et vraiment humide bien entendu.
Que fait la police, je me le demande ?

Ce qui serait bien, que je me dis à moi-même (car je me fais souvent des réflexions très intelligentes à moi-même), c’est que cette pluie s’arrêtasse ce qui éviterait que je me mouillasse.

Et aussitôt, la pluie cessasse.

─ Tiens ! Que je me réflexionne.

Je prends donc sèchement ma voiture, je traverse la ville et j’arrive en vue du carrefour du boulevard machin truc avec les avenues machin chouette et machin chose.
A cet endroit, vous le savez aussi bien que moi, se positionne un feu tricolore particulièrement pervers. Quand on approche il est vert, quand on veut passer il est rouge.

Les feux tricolores sont ainsi, abscons et obtus.
Il était vert.
Ce qui serait bien, que je me redis à moi-même avec cette présence d’esprit dont j’ai déjà parlé plus haut, ce serait qu’il restât dans cet état jusqu’après mon passage.
Et aussitôt, il reste vert.

Je passe.

─ Tiens ! Tiens ! Que je me reréflexionne derechef.

Je me gare devant l’immeuble de cent quatre vingt étages et des bananes où doit m’attendre avec une certaine impatience (croyais-je) mon rendez vous, sors de ma voiture, pénètre le hall et me trouve devant l’ascenseur que vous imaginez.

Le genre, car ils sont tous comme ça, à vous faire poiroter des heures devant un bouton allumé qui vous proclame… qu’un jour… peut-être… mon ascenseur viendra.

Ce qui serait bien, que je me reredis à moi-même (Vous ai-je exprimé combien je sais être clairvoyant et futé lorsque je suis en discussion avec mon moi intérieur ?), c’est qu’en appuyant sur le bouton il s’ouvre.

J’appuie.

Et aussitôt, il s’ouvre.

─ Tiens ! Tiens ! Tiens ! Que je me rereréfléxionne, c’est donc un don.

Intéressant !

Et je file vers les étages.

Je sors de l’ascenseur.

Accueil cosy, moquette et secrétaire bien chics comme il sied.

Surprise, mon interlocuteur est occupé.

Si je veux bien attendre quelques minutes.

Je grommelle.
Je ronchonne.
Je marmonne.
Je m’assieds.

Je triture deux trois journaux sans intérêt, je gribouille un truc sur mon carnet à spirale, et au bout de 23 longues secondes et sept centièmes infinis, je commence à m’ennuyer.
Bon !

Que faire ?
Utilisons mon don tout neuf que je me dis (Vous ai-je ? Ah bon !).

Je regarde donc la secrétaire.

Ce qui serait bien que je me dis à moi-même en détaillant sa tenue, c’est qu’elle me fasse un joli striptease

Sans prétention, je ne suis pas difficile.

Avec la musique d’ambiance sirupeuse du lieu, ça pourrait fonctionner.

Comme ça je me désennuyerais tranquillement, je dégrommèllerais, déronchonnerais, démarmonnerais, et tout serait pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Eh bien croyez-le ou pas.

Elle ne le fit pas.

Ce qui prouve mieux qu’un long discours que les dons ne sont plus ce qu’ils étaient.

Ce qui est bien triste.
Les secrétaires non plus vous me direz.
Mais ça on le savait déjà.

 

 

Miss Météo

C’était il y a trois semaines…
Un visage pur de madone auréolée de longs cheveux blonds s’encadre subitement dans mon téléviseur que je ne regardais évidemment pas.
Annabelle interrompt sa lecture de « Fragments reproductifs et comminatoires de l’Animal Lecteur Barzoï de la forêt amazonienne septentrionale», un épais machin illisible où je m’endors dès la troisième page.
─ Qu’est-ce que c’est que cette Greluche ? Lance-t-elle avec aplomb.
Surpris, je relève à mon tour le nez de mon livre « Avatars et coquecigrues d’une jeune fille sage du début du siècle», un roman très édifiant que je vous recommande et qui ne m’endort jamais.
─ Ben c’est la Miss Météo classique, juste à l’heure qui convient pour que le français moyen puisse choisir sa tenue du lendemain, que je rétorque avec à propos.
Mais on ne stoppe pas Annabelle si facilement.
─ Comment ! On nous balance à une heure de grande écoute, sur la rubrique la plus regardée de France, la plus discutée aussi, une figure de femme qu’on ne mettrait plus dans les églises les plus moches et que même les grenouilles de bénitier les plus moisies n’oseraient approcher à moins d‘un mètre.
─ Ah ! Que je dis avec moins d’à propos il faut bien l’avouer.
─ Tu connais le patron de cette chaine de nazes je crois, tu y as des participations me semble-t-il. Donne moi son numéro, je vais lui expliquer ma façon de penser et comment il pourra faire évoluer son audimat de façon exponentielle… et nos revenus avec.
─ Ah ! Que je dis derechef avec encore moins d’à propos mais une légère inquiétude.
Je connais Annabelle.
Mais je suis faible, j’ai craqué. Je craque toujours avec Annabelle.
La partie téléphonique a débuté ainsi.
─ Bonjour, c’est Annabelle. Dites-moi, mon cher Edouard, à propos du temps qu’il fait chez vous…
La partie rendez-vous a été bâclée dans la journée.
La Miss Météo Madone a été remplacée la semaine suivante par une Miss Météo Annabelle plus sexy et glamour que jamais, avec toujours la touche vestimentaire adaptée au temps qu’il fera.
L’audimat a explosé.
Normal !
Nos revenus ont progressés. Annabelle n’a jamais eu de problème à discuter un salaire convenablement conséquent.
Du coup, moi qui déteste le petit écran, j’avale mon petit verre cathodique chaque jour. Je sais bien que je vis avec la Miss Météo mais bon, on ne se refait pas et il faut profiter des plaisirs de la vie.
Cependant… une légère inquiétude m’a prise de nouveau.
Infime.
Hier il faisait trente degrés et quelques poussières de sable du désert. Très logiquement, Annabelle a présenté la météo en bikini rouge joliment minimaliste. Toute femme dans la même situation aurait fait la même chose j’en suis persuadé.
J’ai adoré. L’audimat aussi. Depuis il squatte mon canapé.
Mais…
Aujourd’hui on annonce une canicule à plus de quarante degrés.
Et…
Je me demande…

Beauté fatale

Admirable et belle, charnelle, elle regardait le paysage.
Une longue vallée de pierre, falaises, rivière lointaine sous des arbres nains.
Appuyé à la voiture sportive sombre et racée, les mains dans les poches de son pantalon très bien coupé, une cigarette entre les lèvres, il la regardait.
Elle portait ce jour là une dentelle noire sur ses longues jambes galbées de gris, de hautes chaussures fines, un manteau court à boutons blancs et ce petit chapeau rond qu’il venait de lui offrir.
Le vent encore froid lui faisait remonter son col, blottir son nez dans le flux de ses cheveux roux.
Superbe.
Une deux-chevaux cacochyme montait en soufflant fort la route en lacets. Elle manqua s’essouffler définitivement dans l’épingle à cheveux, toussa, éructa, repartit difficilement. Ensuite le bitume faisait un faux plat où le véhicule pouvait reprendre un tant soit peu de vitesse. Ils virent passer, l’une puis l’autre, une tête ronde, deux yeux exorbités, bloqués sur la gravure de mode sensuelle.
Un fracas de tôles brisées, une dégringolade cacophonique, puis le silence.
Le virage suivant n’était pas triste.
Il retira sa cigarette, souffla un rond de fumée parfait.
‒ Bon, on y va, tu t’es assez amusée.
‒ Encore deux minutes s’il-te-plait.
Il jeta un œil sur le dévers. Une voiture de gendarmerie montait les lacets à bonne vitesse. Il n’aimait pas le poulet.
‒ D’accord, mais c’est la dernière.
Photographe : Stéphane Perruchon
Modèle : Sandrine Raimbaut