Billard

C’est un mardi que Clémentine me fit venir chez elle après m’avoir attiré d’un désirable.
– J’ai quelque chose d’original à te montrer.
Bon début.
Je m’attendais à une surprise de bon aloi façon déshabillé coquin ou nouvelle robe transparente, puis un petit thé glamour agrémenté de petits gâteaux, avant de déguster l’après-thé de tradition pour profiter de la surprise comme il sied à toutes personnes de bonne compagnie qui se font des surprises.
Eh bien pas du tout !
Je m’avais enfoncé le doigt dans l’œil jusqu’à la cent-trente-sixième phalange.
Bon, je le sais depuis longtemps, Clémentine est une jolie rousse capable, comme toutes les jolies rousses, d’excentricités tout à fait diaboliques. Avouons-le, c’est une des raisons, parmi d’autres plus sulfureuses encore, qui me fait fréquenter les jolies rousses.
Mais là, je fus soufflé.
Et l’on sait comme il est difficile de me « souffler ».
Dès mon entrée, Clémentine m’emmena devant une porte que je ne connaissais pas dans sa maison qui en comporte plusieurs milliers. Elle a les moyens et apprécie les gigantesques baraques, chacun ses névroses ça ne me regarde pas.
– Je viens de faire une folie.
Ah !
Je l’examinai. Elle portait une robe en velours toute simple agrémentée de quelques diamants anodins, des bas noirs, des chaussures à talons de dix centimètres de hauteur. Rien que de très normal.
Mon inquiétude monta dans les tours. Je craignais le plan foireux. Je tentai une dernière chance.
– Tu portes un bidule caché ?
– Mais non idiot, regarde.
Elle ouvrit la porte.
Mes craintes devinrent aussitôt réalités.
Imaginez une grande pièce avec un long bar sur un des côtés, des bouteilles et des verres en étagères, un parquet ancien en bois vernis, et, au milieu, lourd, massif, un billard français de la plus belle eau surmonté des trois lampes vertes habituelles.
– Une envie brutale en regardant un catalogue chez mon coiffeur. Alors aussitôt, j’ai fait aménager cette pièce la semaine dernière. Je me suis amusée, tu n’imagines même pas.
Qu’est-ce que c’est que ce coiffeur qui a des catalogues de billards à la place d’Ici Paris » ou « Voici » ?
Il n’y a plus de coiffeur.
– Tu sais jouer au billard ?
– Bien sûr que non, tu vas m’apprendre.
Ah ?
– Mais… je ne sais pas jouer au billard français. Encore ce serait un billard américain, je ne dis pas, je sais à peu près tenir une queue et s’il s’agit de mettre des objets dans des trous, je peux à la limite…
– Ah non, ne me parle pas des ces types qui ne parlent pas français. En anglais je suis nulle, en américain c’est pire. Il parait qu’il faut acheter local, c’est ce que j’ai fait, non ? Alors jouons local et pis c’est tout !
Allez répondre à ça !
– Tu vas m’apprendre, et pour te motiver, j’ai eu une idée. A chaque fois que je fais une erreur, tu peux me punir à ta guise.
– Tout ce que je veux ?
– Tout ce que tu veux.
Ah !
Moi il ne faut pas me prendre par les sentiments.
J’ai potassé les règles du billard français et allez vas-y mon gars.
Tous les mardis, de cinq à sept… ou plus, j’enseigne le billard à Clémentine.
Elle est particulièrement peu douée, je suis obligé de la punir sans cesse.
Je ne m’en plains pas, elle non plus. Finalement, le billard est une activité beaucoup plus intéressante que je ne croyais.
Et ce qui va sans doute vous étonner…
Beaucoup plus sportive aussi.

Mondrian

J’étais là tranquillement à lire mon journal de gauche, assis profondément dans mon fauteuil le plus confortable, en fumant un cigare de la Havane, et en sirotant une cuvée 50 ans d’âge dans un petit verre ballon charmant, lorsque la porte de mon salon s’est ouverte à la volée.
Clarisse.
Je n’avais pas revu Clarisse depuis deux jours.
Depuis cette soirée musicale revisitée dont je gardais un souvenir ému autant qu’érotique. (Voir article précédent)
Bien !
J’avais laissé Clarisse, épuisée, dans son joli trois pièces des champs Élysées, à une heure indue dans une tenue tout aussi indue.
Et puis j’avais pensé à d’autres choses.
Et brusquement elle était là. En tenue très chic et plus du tout indue. Un tailleur qui devait être Chanel, une coiffure parfaite, assortis des chaussures Louboutin que je lui ai offert le mois dernier.
Bon d’accord elle récupérait vite et savait apprécier les cadeaux mais…
Dans mon salon.
Sans prévenir.
En pleine après-midi.
Très Clarissien comme concept.
Je n’aime pas du tout.
Je me dis que pour cette fois ça passerait, mais qu’il ne faudrait pas que ça devienne une habitude. Mon salon n’est pas un moulin comme le tapis en véritable poil de Mohair des Andes suffirait à le démontrer et je n’ai pas que Clarisse dans ma vie par ailleurs bien remplie.
– Alexandre, encore !
Quoi ?
Je posais mon cigare avec la délicatesse requise.
– Que veux-tu dire mon poussin ?
Elle se mordit la lèvre. J’aime beaucoup quand Clarisse se mord la lèvre.
– La soirée musicale que tu m’as organisée était trop géniale, j’en veux une autre, tout de suite, demain au plus tard.
Ah quand même ! Ce n’est plus que Clarisse récupérait vite, c’était carrément étonnant. Je revis avec délice cette fin de soirée assez confuse avec tous ces hommes et surtout toutes ces femmes et Clarisse au centre totalement nue.
Et elle en voulait « encore ».
Si vite.
Bien, d’accord, pourquoi pas que je me dis.
Mais changeons. La musique je veux bien, ça adoucit les mœurs… enfin tout dépend du contexte, mais trop de musique tue le plaisir, cherchons un autre art plus silencieux.
Aussitôt j’eus une idée. Je suis comme ça, un homme à idées à condition que le sujet s’y prête.
Et Clarisse question de s’y prêter, elle s’y prête.
– Faisons une performance artistique. Je te propose Mondrian, c’est chouette Mondrian et puis ça a de la gueule.
Elle me regarda, interloquée.
– Je vais te peindre. Une œuvre de Mondrian nouvelle et vivante, une œuvre de Mondrian sur un corps féminin, une œuvre de Mondrian qu’on pourra regarder, toucher et même plus si affinités. Voilà une idée géniale. J’ai un copain galeriste à qui ça devrait plaire.
Clarisse sourit. Elle saisit vite et si c’est vicieux encore plus vite.
Quant à moi, je saisis mon téléphone.
Le copain était enthousiaste. Plusieurs photographes et journalistes à appeler, ses collectionneurs et collectionneuses à convoquer, ça allait être fantastique et ça pouvait se faire vite. Un carton médiatique pour lui et pour moi une soirée amusante qui me ferait mieux connaître. Nous convînmes du lendemain soir à partir de 19 heures.
Lorsque je reposais mon portable, Clarisse était déjà nue.
– Il faut que tu t’entraines si tu veux que ce soit parfait demain. Nous avons toute la nuit pour ça.
Je sortis mes pinceaux.

Waf !

En ce moment il y a de plus en plus de chiens dans mon quartier accompagnés de la petite mémé qui va bien. C’est à la mode il faut croire ou alors c’est une nouvelle épidémie contagieuse.