Splogofpft mensuel, années 1990

Le journal Splogofpft mensuel est en approche.
Sortie demain. Je rappelle qu’il est gratuit et que pour s’abonner il suffit de m’écrire à creartiss@orange.fr
A cette occasion, je retombe sur les couvertures du journal Splogofpft des années 1990.
Alors hop là, en voici une.

Problème de secrétaire

Hier, ma comptable m’a demandé de venir la voir dans son bureau.
J’en ai été ravi. C’est toujours un plaisir.
Oui, j’ai une comptable et non un comptable, qu’est-ce que vous croyez ? Je ne me vois pas discuter de mes affaires de gros sous avec un type poilu, moustachu et sentant la sueur.
Enfin quoi !
Je l’ai choisie en m’attachant aux critères professionnels les plus exigeants. Elle a la trentaine, de longues jambes, des seins bien posés et s’habille toujours de tenues chics, courtes et décolletées.
Hier elle portait un tailleur rouge, jupe très courte, veste cintrée ouverte sur un chemisier à deux boutons déboutonnés.
Quand je vous dis qu’elle est professionnelle.
Elle m’a fixé de ses yeux bleu-pervenche bien dessinés. Ce n’est pas nécessaire pour une bonne comptable d’avoir des yeux bleu-pervenche mais c’est un atout supplémentaire non négligeable.
– Je viens de vérifier vos comptes du premier semestre, ils sont bons et en forte progression.
Voilà un rendez-vous qui commençait sous les meilleurs auspices. J’ai appliqué mon air modeste du parfait chef d’entreprise sur mon visage buriné. Je fais très bien l’air modeste.
– Il y a deux trois points de détail dont nous discuterons ultérieurement…
Impeccable. J’aime beaucoup discuter « ultérieurement » avec ma comptable.
– Mais je voulais vous parler d’un point problématique, votre secrétaire.
Quoi ma secrétaire ? Qu’est-ce qu’Alicia peut bien poser comme problèmes ? C’est ma secrétaire depuis maintenant deux ans. Elle me convient en tous points aussi bien physiques que dans ses tenues. Par exemple aujourd’hui, pendant que j’écris ce compte-rendu, elle porte une petite tenue de secrétaire bien convenable, jupe ajustée très courte, bas et porte jarretelles rouges, chemisier blanc totalement ouvert sans soutien-gorge, cravate bleue et chaussures assorties à très hauts talons.
Je ne vois pas ce que l’on pourrait reprocher à une telle perle !
– Son salaire.
– Son salaire ?
– Mais oui, 4000 euros net sans compter les primes, plus 2000 euros de frais d’habillement, n’est-ce pas un tantinet exagéré ?
– Vous connaissez la difficulté pour trouver une bonne secrétaire ?
– Je sais.
Lucinda – ma comptable s’appelle Lucinda – s’est mordu la lèvre ce qui lui donne un air coquin que j’apprécie particulièrement.
– Mais voyez-vous, au vu des relevés comptables et des courriers qu’elle m’envoie, je pense qu’elle n’est peut-être pas si compétente que vous le pensez.
Je l’ai regardée fixement sans rétorquer. Comme toujours lorsque je l’applique, mon regard fixe déstabilise mon interlocutrice. Lucinda, ennuyée, a tiré sur sa jupe d’un geste assez révélateur.
Mais elle est têtue.
– Je pense qu’aujourd’hui, vous pourriez tout à fait vous passer de votre secrétaire pour un ordinateur performant avec un logiciel de comptabilité et une IA adaptée. Cela aurait de meilleurs résultats pour votre entreprise et serait largement moins onéreux.
– Ma secrétaire m’est indispensable, je ne veux et ne peux m’en passer.
Lucinda s’est mordillé le bout des ongles oubliant sa jupe qui est remontée. Tout allait donc très bien.
Mais elle est vraiment têtue.
– Écoutez, envoyez-moi un mail pour m’expliquer toutes les compétences que vous apporte « soi-disant » votre secrétaire et je vous garantis qu’une IA et moi pourront la remplacer avantageusement.
D’accord.
Je suis sorti de son bureau avec un dernier panoramique sur ses jambes fabuleuses. Après tout, peut-être avait-elle raison.
Le soir même, car je suis un gars efficace et pragmatique, je lui ai envoyé par mail le détail circonstancié des divers talents de ma secrétaire.
Ce matin, car ma comptable est non moins efficace, j’ai reçu ce mail laconique que je conserverai dans ma boite car il me plait beaucoup.
« Gardez votre secrétaire ».

Proustomonstre

« On gagnait le mail entre les arbres duquel apparaissait le clocher de Saint-Hilaire. Et j’aurais voulu pouvoir m’asseoir là et rester toute la journée à lire en écoutant les cloches ; car il faisait si beau et tranquille que, quand sonnait l’heure, on aurait dit non qu’elle rompait le calme du jour, mais qu’elle se débarrassait de ce qu’il contenait et que le clocher, avec l’exactitude indolente et soigneuse d’une personne qui n’a rien d’autre à faire, venait seulement – pour exprimer et laisser tomber les quelques gouttes d’or que la chaleur y avait lentement et naturellement amassées – de presser, au moment voulu, la plénitude du silence. »

Du côté de chez Swann

 

Peinturluresque

Vous n’allez pas le croire, mais moi, qui suis pourtant d’habitude un garçon subtil et disons le incroyablement intelligent, il m’est arrivé, il y a quinze jours, une aventure où j’aurais pu me poser carrément des questions.
Je vous explique…
Depuis quelque temps Aurélie avait des velléités de peinture.
Quand je dis velléités, je devrais plutôt dire obsessions.
Elle entrait dans une pièce, n’importe laquelle, la regardait d’un air fin, en connaisseuse qui sait de quoi il retourne grâce à des études longues, approfondies, récompensées du diplôme ad-hoc, et me disait.
– Tu devrais repeindre cette pièce, un petit orange à pois roses irait bien mieux avec ton canapé régence que ce ton vert fadasse qui tue totalement ton Van-Gogh.
Ou encore…
– Crois moi, ta cuisine en rouge pissenlit couplé d’un orange hortensia bien crémeux créerait une ambiance conviviale bien plus propice à des mets succulents pour des gens de qualité que ce blanc sans consistance.
Ah !
Je n’aime pas les travaux, je n’aime pas les odeurs de peinture, je n’aime pas qu’on me bouscule mon intérieur sous prétexte de l’améliorer, j’aime ma maison comme elle est, mes murs de la couleur qu’ils sont, et mon Van-Gogh de la folie qu’il transporte.
Alors je répondais d’une façon tout à fait vague. Je suis très doué en façons vagues.
– Moui, bien sûr, bien sûr. Et si on allait plutôt t’acheter cette robe en soie sauvage du Maroc qui te faisait envie comme à moi.
Car il faut dire qu’Aurélie dans une robe en soie sauvage du Maroc c’est mieux qu’un ananas gorgé de rhum, ça fond sous la langue, c’est délicieux, et ça fait tout sauter.
On achetait la robe, je me pensais tranquille.
Pas du tout. L’après-midi, le soir même, le lendemain au mieux, elle recommençait ses allusions peinturlufériques.
Bon, j’ai craqué.
Je craque toujours quand une femme, surtout une Aurélie, me prend par les sentiments dans une nuisette transparente avec à peu près rien en dessous.
Je peux être très compréhensif.
Et puis l’imaginer, montée sur un escabeau, robe blanche à pois rouge relevée, jupon transparent et porte jarretelles assorti, un pinceau dans une main, ses jambes dans les miennes, m’a persuadé que je faisais le bon choix.
Je lui ai donc laissé une buanderie désaffectée pour s’amuser, pas trop loin pour pouvoir intervenir au besoin, mais pas trop près si elle devait faire du barouf, et hop là, qu’elle puisse exprimer toute sa créativité.
Et moi aussi.
Je fus naïf.
Ce qui m’arrive de moins en moins heureusement, l’âge a de ces prescience qui nous évite bien des désagréments.
Mais cette fois, je fus naïf.
Je pensais qu’elle allait acheter un matériel sympa, s’exprimer avec joie fulgurante et taches fulgurées dans cette buanderie digne de son don artistique enfin débridé. Je pensais que de temps en temps j’irai la déranger amicalement dans son labeur coloriférant.
Pas du tout.
Elle s’enferma direct m’affirmant que, sinon, il n’y aurait pas de surprise.
Surprise ? Comme si j’avais envie de surprises !
Je me demande comment j’ai pu être aussi naïf.
Mais je la crus et vaquais donc à d’autres occupations qui ne s’appelaient pas Aurélie mais qui étaient bien occupantes aussi.
Ce qui fait qu’elle me sortit un peu de l’esprit avec sa buanderie, ses arc en ciel multicolores et ses surprises.
Jusqu’au vendredi soir où mon valet Horace vint me prévenir que les peintres d’Aurélie voulaient être payé pour leur travail.
Les peintres ?
Pour leur travail ?
Elle ne peignait donc pas seule.
Ils étaient deux. Normal, un seul n’aurait pas suffi.
Superbes, élancés, musculeux, pas plus peintres que vous ou moi je vous en garantis.
Alors je pris la seule bonne décision. Je payai ces messieurs le triple de ce qu’ils demandaient à la condition qu’ils emportent Aurélie avec leurs pinceaux.
– Mais qu’allons-nous en faire ? Me dirent-ils.
– Vous trouverez bien. Il ne manque pas de vieux messieurs qui ont besoin d’une petite femme pour refaire leur peinture et leur intérieur.
Ils ont trouvé.
Il parait, aux dernières nouvelles, qu’elle serait chez le comte de P…. Je le sais car un ami m’a assuré que son château était maintenant rose des douves aux tourelles.
– Et tu verrais ça, il vit avec une petite femme superbe et jolie… jolie… on la croirait dessinée par un peintre. Si tu veux je te la présenterai.
– Ah non, merci, je ne fréquente plus les femmes dessinées par des peintres, j’ai trop peur de me tacher sur la peinture fraiche.
Il a ri.
Pas moi.