Beauté fatale
Dragon
Un petit dialogue écrit ce jour pour un atelier d’écriture auquel je participe.
Les obligations : Une fée d’automne à la voix fluette, un salon dans une vieille maison et un animal choisi au hasard. Je suis tombé sur le dragon. Tiens ? Au hasard vraiment ?
Et, pour illustrer ce texte, plutôt qu’un dragon, je vous ai choisi une jolie fée, Rina Bambina.
Quoi ?
─ Ben non.
─ Comment ça, ben non ?
─ Ben non, je ne mettrai pas une patte dans ta boite à chaussures.
─ Ce n’est pas une boite à chaussures, c’est une très jolie maison ancienne, avec du lierre sur les murs et des petits carreaux aux fenêtres.
─Ouais, ben pour un dragon comme moi, petite maison « jolie » ou boite à chaussures « pourrie », c’est du pareil au même, je suis trop gros pour entrer dans ce truc.
─ Méééééééééh eeeeeeuh ! Tu n’as qu’à juste y entrer la tête. Je voulais te montrer le charmant salon automnal que, moi, petite fée de l’automne, j’ai aménagé avec un goût certain dont je me targue.
─ M’en fiche, j’entrerai pas et pis c’est tout !
─ Tu n’es pas gentil.
─ Normal, je suis un dragon.
─ Et si je te fais ma voix fluette. Que je te joue la musique qui te fait craquer sur ma harpe.
─ M’en fiche de ta voix fluette et de ta harpe, j’suis un dragon méchant et j’entrerai pas, nah !
─ Et si je te fais mes yeux de petite fée automnale toute triste.
─ Ah non, c’est de la triche, tu n’as pas le droit.
─ Ah non ! Pas le droit, hummmmmm ! Comme elle est triste la petite fée à son méchant dragon !
─ Bon, bon, ça va, j’y vais dans ta maison boite à chaussures de mes deux…
─ Tu n’es pas poli.
─ Normal, je suis un dragon. Bon par où qu’on peut se glisser dans ce machin, personne n’aurait un chausse-pied ?
Bradabradabrang ! Broufff !
─ Oups !
─ Waaaaaoooooinnnn ! (petite voix fluette que je ne peux évidemment vous faire ici). Tu m’as toute écroulé ma jolie maison pleine de lierre et de fenêtres à petits carreaux, tu n’es qu’un méchant.
─ Normal, je suis un dragon. Attends, ce n’est pas si grave, ça doit pouvoir se recoller… avec du scotch.
─ Waaaaaahouin ! (je ne vous fais toujours pas la voix fluette, pas fou). Non, c’est tout cassé et pis ça se répare pas, et pis tu n’es qu’un méchant.
─ Normal, je suis… et puis zut. Ecoute, si tu cesses de hurler avec cette voix fluette qui me vrille les tympans, je t’offre, dans ma caverne, au chaud, un thé noir dont tu me diras des nouvelles.
─ Grillé sous la braise.
─ Oui.
─ Avec du gingembre.
─ Oui.
─ Et il y aura les afters… comme la dernière fois ?
─ Evidemment… je suis un dragon quand même.
─ Chouette ! Alors je viens.
─ Comme quoi, je peux être aussi un gentil dragon parfois.
─ Ah mais non ! Ah mais pas du tout ! Moi je veux que tu sois un méchant dragon… un très méchant dragon.
─Allez comprendre… les femmes… ou les fées… ou peut-être est-ce la même chose. (Se dit le dragon en se grattant la tête qu’il a chauve et écailleuse. Normal… c’est un dragon)
Illustration : Rina Bambina
Artiste
C’était l’une de ces dernières journées d’automne où le ciel se voile de quelques nuages de tulle, où le vent encore doux fait vibrer la cime des cèdres du parc. Nous étions assis sous la rotonde de notre maison bourgeoise à boire un thé noir de chine parfumé au jasmin indien, Dorothée, fabuleuse comme à l’accoutumé dans une robe bleue semée de muguet, regardait sa tasse, songeuse.
‒ A quoi songez-vous ma chère ? Lui dis-je avec à propos en reprenant un Plum-Cake banane-cerise.
‒ A un certain concert de Jacques Higelin.
Je gardais ma cuillère en lévitation, l’auriculaire délicatement levé, étonné malgré moi. Je ne voyais pas ma bonne amie dans un tel contexte même en forçant le ton.
‒ Vous allâtes à un concert de Jacques Higelin ?
‒ Quelle horreur ! Bien sûr que non, je l’ai vu en vidéo évidemment. Un instant magique, cinq mille spectateurs, il s’avance au bord de la scène dans une tenue façon Peter-Pan assez seyante je dois l’avouer et s’écrie « Vous voulez du rock ? »
Cinq mille gorges hurlent en cœur « Oui ! »
Il répète plus fort faisant celui qui n’a pas entendu ou pas bien compris « Vous voulez du Rock ? »
Les cinq mille gosiers hurlent derechef à faire s’écrouler la salle « OUI ! »
Alors, décontracté, il s’en retourne vers son piano avec ce sourire qui n’appartient qu’à lui et leur répond « Eh bien, on va vous jouer… autre chose ».
C’est cela, voyez-vous Stanislas, un artiste ! Un personnage qui lorsque l’on veut qu’il fasse quelque chose fera « autre chose » même s’il est, à ce moment précis, sous la menace d’une arme ou pire encore. Autre chose, entendez-vous Stanislas ?
Je repris du thé, pas très bon à vrai dire. Comment peut-on apprécier cette lavasse jaunâtre ? Heureusement, il y a ces Boody-Cheeries caramels qui compensent largement.
‒ Où voulez-vous en venir, ma chère Dorothée ?
Je le savais, comment faire autrement, puisque depuis plus d’une semaine elle ne me bassinait que de ça, mais il n’est rien de plus boudeur qu’une femme qu’on agresse en devinant ses pensées et je déteste les femmes boudeuses presque autant que le thé.
‒ Je vous connais bien Stanislas, et je me pose la question : à quel moment dans votre vie avez-vous fait le contraire de ce que l’on attendait de vous ?
Je fis le scandalisé. Je fais très bien le scandalisé.
‒ Mais jamais, ma chère ! Grand bien m’en fasse, ce serait contraire à une éducation de gentleman que j’ai passé des années à assimiler.
Elle prit cette mine que je lui connais bien et qui veut faire entendre que je pourrais l’avoir déçue, moi qui ne déçois jamais personne.
‒ C’est bien pour cela, Stanislas, que vous ne serez jamais artiste.
‒ C’est bien pour cela, ma chère Dorothée, que je suis riche.
Elle but une gorgée de thé, leva ses yeux encore embués, me fixa quelques secondes… et me sourit.
Je croquais délicatement dans un Muffin vanille-concombre.
Non mais !
Balade à la campagne
Edwige entra dans le bureau en coup de vent comme seule elle savait le faire. Charles releva le nez de son journal, poussa un soupir léger.
Qu’est-ce qu’elle avait encore inventé cette fois ?
Elle commençait à lui prendre la tête cette tornade permanente. Il revit Francine, la précédente, posée, tranquille. Jamais de siroco avec Francine !
Oui mais elle l’ennuyait tellement, Francine, avec ses larmes, ses lunettes, ses frisettes.
Tellement.
‒ J’ai eu une idée. Si on allait faire une balade à la campagne, ce serait chou !
Il faillit en avaler son cigare.
‒ A la quoi ?
‒ Tu vois, tu ne sais même plus ce que c’est. Ce doit être super en cette saison la campagne… les papillons, les libellules, les arbres, les fleurs… Oh oui, allons à la campagne !
‒ Mais, Edwige, c’est sale la campagne, c’est bourré d’insectes divers plus ou moins volants, plus ou moins piquants, ça sent mauvais la campagne, ça sent la bouse, la fiente, le crottin, le purin, le fumier, et j’en passe.
‒ Je le savais, tu es déjà enthousiaste. D’ailleurs regarde, j’ai mis une petite robe pimpante, printanière, verte comme les prés, transparente comme l’eau claire.
De fait.
Il se sentit craquer.
‒ Tu sais, dit-il pour dire quelque chose, ce n’est pas du tout une tenue campagnarde !
Elle sourit, jouant la surprise.
‒ Ah ? Tu crois ? Tant pis, ce sera ma tenue. Bon, alors on y va ?
Elle se dirigeait vers la porte, il frémit.
Trouver une excuse.
‒ Mais, Edwige, tu as vu, on voit la marque de tes dessous sous la robe, tu ne peux pas sortir ainsi.
Elle s’arrêta devant le grand miroir en pied de l’entrée, se tourna.
Se retourna.
Le regarda de ce petit minois pervers qui lui faisait des frissons dans le dos.
Il sentit des frissons dans son dos.
‒ Tiens ? Oui ?
Elle se passa un doigt sur les lèvres, se donna la mine d’une qui réfléchit.
Le frisson dans le dos devint sueur.
Soudain, elle leva l’index en l’air, triomphante. Elle avait trouvé.
Aïe !
‒ Je sais, je vais m’en passer de cette culotte, comme ça, on ne la verra plus et je ne choquerai personne.
Il vit voler un papillon blanc, se poser sur le bureau une libellule de soie immaculée.
Tant pis !
‒ Tu viens mon chou ? Je te laisse même choisir la voiture, Jaguar ou Porsche. Tu ne pourras pas dire que je ne suis pas conciliante.
Elle ouvrit la porte.
‒ Et si le soutien-gorge te gène, dis-le moi, j’arrangerai ça aussi.
Elle sortit.
Il posa son cigare, se leva en soupirant, suivit les rondeurs roses sous la dentelle verte.
Depuis ses seize ans, il n’avait jamais pu résister à une paire de fesses.
Surtout dans l’herbe.
Les plumes
Allongée, plutôt qu’assise, sur le grand fauteuil du salon de cet abruti, Aurélia observe Giancarlo avec qui elle sort depuis trois mois maintenant.
Désespérant.
Il cause, il cause, il cause, c’est tout ce qu’il sait faire.
C’est pourtant avec sa verve qu’il l’a draguée, ce jour d’été, dans ce petit bar si désuet du cinquième. Il faisait beau, elle s’ennuyait en terrasse, il avait des dents blanches et l’accent italien.
Elle craque toujours pour des types dans la trentaine, avec du bagout, des dents étincelantes. C’est une manie.
Ensuite, elle découvre un égo d’hippopotame, un cerveau de poulet, une naissance à Vierzon et le dentifrice Gibbs, celui à la rose entre les dents.
Cela ne rate pas.
Ici, le portrait se complète d’une voiture de sport bruyante, inconfortable et décapotable, d’un goût de chiotte pour les fringues comme pour la déco, et d’une bande de copains totalement crétins, assortis de bimbos rieuses à gros seins siliconés.
La soirée traîne en longueur comme d’habitude entre les bavasseries de tous ces péteux et les rires éclaboussants des grognasses.
Il va être temps de quitter tout ce petit monde définitivement, de prendre des vacances de bêtise.
Fini les trentenaires, le prochain sera soit un jeune type à modeler, soit un vieux pour se blottir.
Mais d’abord, rompre. Un moment qu’elle apprécie, qu’elle renouvelle avec créativité pour chaque amant.
Cette fois, elle a commencé en choisissant, sans le prévenir, cette tenue qu’il déteste tant. Du noir, du rose, des plumes pour l’envol, de la transparence pour dévoiler, des dessous apparents pour choquer.
Lorsqu’il l’a vu arriver dans cette anti-tenue, Giancarlo en a eu le souffle et la parole coupés, ce qui n’est pas dans ses habitudes. Il s’est approché, tentant de lui interdire l’accès.
‒ Pas en public, quand même ?
‒ Mais si. Et toujours pour des occasions particulières.
C’en est une.
Elle est plutôt fière du silence masculin pour son entrée, pas mécontente non plus de la crispation palpable des greluches, et puis la soirée a continué comme si de rien n’était.
Mais, heureusement, Giancarlo ne devrait plus tarder à exploser. Il parle, parle encore, mais arbore son teint vert-rouge des grands moments, le regard en biais, la crispation de la bouche, le tremblement des doigts.
Un petit effort supplémentaire devrait être suffisant. Elle s’étire d’abord voluptueusement, le calme se fait. Elle se lève, tranquille, se dirige vers le bar, attitude lascive, regard voilé.
L’atteindra-t-elle ?
Elle compte mentalement : cinquante secondes, vingt-cinq, dix, maintenant.
‒ Tu as fini de me foutre la honte avec ton look de prostituée ?
Voilà !
Elle se campe, droite, les mains sur les hanches, les yeux plantés dans les siens.
‒ Mais non ! Pas un « look de prostituée », l’allure d’une sorcière-oiseau qui te quitte définitivement en s’envolant pour jamais.
Elle court, trois pas, franchit la fenêtre, se jette du balcon dans un froufroutement de plumes et de tulle.
Quinzième étage.
Hurlement incrédule.
Les hommes se précipitent, Giancarlo en tête.
Hagard.
Quarante mètres plus bas, rien. Ni cadavre sur le bitume, ni sang sur le trottoir. A l’horizon d’une fin de jour pâlie, une corneille noire leur lance son cri grinçant, franchement moqueur, avant de disparaître dans la nuit.
‒ C’est possible ça ?
‒ Eh bien non, enfin, je ne croyais pas…
Jambes molles, suées, terreur frissonnante.
Bien fait !
Cachée derrière la rambarde du balcon supérieur où elle s’est accrochée puis hissée en souplesse, Aurélia regarde son ex et sa bande de nazes avec un plaisir satanique. Ils ne dormiront plus jamais si bien.
Un bruit.
Elle se retourne.
Derrière la vitre, un type, la trentaine scintillante, en slip, se regarde dans un miroir en faisant briller ses dents. Il est mignon.
Allez une jolie sorcière à la surprenante, ça ne peut lui faire de mal !
Quoi ?
Vous ne changez jamais d’avis, vous ?
Photo : Alcina Aubade
Une certaine Marilyn
Il est 6 heures du matin et quelques poussières, le Milord, la boîte de nuit transformiste de Guéret, finit sa nuit.
Seulement deux clients attardés.
Eddy, le barman, pose sur l’étagère brillante le verre essuyé et lance pour la troisième fois sa phrase favorite : « On ferme ! ».
Jamais plus de trois fois, c’est son principe.
Juju, qui porte ce surnom du fait de sa « sacré descente », lève un doigt d’honneur aussi aristocratique que silencieux. Ce que dit Smart, qui a encore de beaux restes, est suffisamment passionnant pour ne pas l’interrompre.
‒ J’étais là, assis tranquillement sur mon banc, je l’ai vue arriver du bout de la ruelle. Elle était sublime.
Eddy, flegmatique, appuie sur le bouton adéquat puis attrape un nouveau verre humide.
Juju bave… un peu.
‒ Elle portait sa robe de 7 ans de réflexion ?
‒ Non, bien sûr. Juste une petite robe noire tout à fait classique mais incroyablement sexy sur elle. Elle est venue vers moi, m’a caressé les cheveux et m’a dit : « Tu sais que tu es mignon, toi ? » C’est comme ça que tout a commencé.
Juju se frotte les yeux, a une brusque illumination.
‒ Attends, tu avais quel âge ?
‒ Sept ans, mais j’étais déjà en avance pour mon âge.
‒ Et tu habitais où, à l’époque ?
‒ Limoges.
‒ Limoges ?
Juju en frémit.
‒ Et tu veux me faire croire que Marilyn, la Marilyn des films, est venue à « Limoges », et pour te rencontrer, toi ?
‒ Eh bien pourquoi pas ? Mais incognito bien entendu. Tu crois pas qu’elle allait crier ça sur les toits et se faire repérer par les journaux.
Juju bondit debout, la chaise s’effondre dans un vacarme de fin du monde, il tremble sur ses pattes grêles.
Indigné.
‒ Tu me prends pour… tu me prends pour… un je ne sais quoi !
‒ Mais non. D’ailleurs la voilà.
C’est vrai. Juju en a les yeux qui se décillent.
Marilyn Monroe, en robe de chambre à carreaux, pas encore démaquillée, vient d’entrer dans la salle par les coulisses. Elle les attrape par le col sans efforts apparents, les traîne à travers les tables vides, puis les balance dans la rue.
La porte se ferme dans un claquement définitif.
Baraquée Marilyn !
Juju, qui s’est ramassé sans se faire mal comme tout soûlaud qui se respecte, se tourne vers Smart aussi indemne que lui.
‒ Tu sais quoi ?
L’autre se masse le cuir chevelu. Une vague bosse à venir.
‒ Quoi ?
‒ A l’époque, tu devais être aussi poivrot qu’aujourd’hui !
Lascive
Lascive et pensive, la belle regardait par la fenêtre.
Une lumière dorée irisait l’ombre des cheveux, caressait le modelé d’une épaule, enveloppait l’arceau du bras pour finir sa course, perverse et douce, le long d’une hanche, d’une volute de tissu, d’une jambe à peine aperçue sous l’ombrage des plis de satin.
Le jour se levait sur Paris, le jour se levait sur elle assise sur son lit, sur elle qui regardait Paris.
Lui, envouté, notait deux trois choses qui feraient peut-être une histoire, qui, en tout cas, décrivaient déjà un instant hors du temps.
Il n’osait parler.
Il songeait.
Il rêvait.
Ni l’un ni l’autre ne bougeaient, lui admirant, elle le sachant.
Un instant immensément long, plusieurs secondes d’éternité peut-être, dévida l’écheveau d’une heure arrêtée, le fil d’une passion sauvage et sensuelle. Le grincement léger du crayon sur le papier gravait l’espace, pareil au bruissement d’aile d’un oiseau mouche.
Il écrivait sans s’en rendre compte des choses tendres et voluptueuses.
Elle frissonna soudain, étira les bras, le dos, puis se retourna d’un froissement d’étoffe.
Un sourire aux yeux.
‒ Et si on allait se promener ?
Il sourit à son tour.
‒ Oui, allons nous promener, mais tu sais ce que j’aimerais.
Malicieux.
Alors, pour lui faire plaisir, elle ne mis que la robe légère flottant sur ses jambes nues prolongées de la longueur de deux talons immenses, affutés comme des rasoirs.
Ils allèrent se promener.
Pavillon-Party.
Chapeau
Il descend de la Jaguar décapotable, lisse son pantalon noir, sort une cigarette longue, menthol, d’un porte-paquet d’argent nickelé, la glisse entre ses lèvres fines, commence à chercher son briquet tout en observant les alentours.
Une ville d’eau comme il aime, façades blanches, promenade à rambarde de pierres sur un lac lisse comme un drap, vaste comme une mer, agencé de deux trois bateaux de promenade à cheminées d’écume.
Deux trois villas Art-Déco, le casino à marquises de métal, la longue plage de sable blanc.
Décor de film pour romance d’amour.
Il cherche des yeux les robes à crinolines, les déesses à taille serrée, le vaste chapeau, l’ombrelle.
Ne les trouve pas.
Juste, de ci de là, quelques touristes-étrons affublés du short foutoir à jambes-saucisses, du tee-shirt godaillant, de la casquette à visière de plastique transparent.
Rares heureusement, on est en juin.
Mais vieux évidemment, on est en juin.
Tant pis.
Il allonge quelques pas, lance au ciel un rond de fumée presque parfait, cherche une terrasse accueillante.
‒ Enfin, vous voilà !
Deux mains gantées sur ses yeux, une voix féminine qu’il ne connait pas, qu’il n’a jamais entendu auparavant.
Il n’oublie jamais ces choses là.
Il se retourne.
Ah !
Une femme, une vraie. Yeux noirs dessinés de mascara, cheveux noirs sous un chapeau vaste et large, robe qui flotte au vent à haut de dentelles totalement transparentes, jambes galbées de soie, chaussures hautes, découvertes, et, cerise sur le gâteau si l’on peut dire, un long fume cigarette aussi érotique qu’incongru.
Il sourit.
‒ Vous êtes ?
‒ Celle que vous attendiez, celle qui vous guettait depuis deux jours qu’elle était arrivée et que vous n’y étiez pas. Celle qui s’ennuyait sans vous mais, enfin, vous voilà.
Son sourire s’agrandit.
‒ Que joliment ces choses là sont dites.
‒ N’est-ce pas ! Alors voici ce que je vous propose…
Une pause, il attend, intéressé.
Elle lui prend le bras, l’entraine.
‒ Vous êtes descendu dans le même hôtel que moi.
Elle lui montre une structure de balcons ouvragés, un chasseur en livrée, trois marches de moquette rouge.
Il opine.
‒ Je suis chambre 312, vous êtes à la 313.
Il ne vérifie même pas.
‒ Elles communiquent entre elles ce qui est bien, mais d’une porte à serrure ce qui est mieux. Nous sommes vous et moi ici pour quinze jours, nous repartons le même samedi à la même heure. Que diriez-vous de passer ces vacances ensemble sans se connaître ? Juste hors du temps pour une quinzaine et puis chacun, chacune, revient à sa vie habituelle comme s’il ne s’était rien passé.
Il adore ce genre d’idées.
‒ Alors, venez, je connais un petit restaurant charmant accroché au coteau à cent mètres d’ici. J’y ai réservé une table pour deux, nous pourrons y conclure cet accord et nous avouer des choses impérissables. Mais d’abord, inventons nos prénoms de voyage. Qu’en pensez-vous ? Quel nom me donneriez-vous ?
Il réfléchit une demie seconde.
‒ Que diriez-vous d’Elvire ?
‒ Elvire, oui ça me plaît. Et vous, je vous appellerai… voyons… un prénom ancien, peu courant mais charmant, Théodore, qu’en dites-vous ?
‒ Eh bien, Théodore je suis et Théodore je serai.
Alors Théodore prend la taille d’Elvire, Elvire pose sa main gantée sur l’épaule de Théodore, et, d’un pas tranquille exactement ajusté l’un à l’autre, le couple se dirige vers le bout de la promenade.
Elle se penche vers lui.
‒ Vous savez, Théodore, pour vous, j’ai mis des bas et…
Il lui pose un doigt sur les lèvres.
‒ Chut Elvire. Voyez-vous, une chose que j’adore par-dessus tout, ce sont les surprises.