J’observe le tableau de près.
Pur amateur de technique picturale, je m’approche. J’admire le phrasé du pinceau, la délicatesse de la touche, la fluidité de la matière. On le caresserait presque.
Presque.
Je suis invité, accompagné de Cybille, à la Galerie parisienne Thaddaeus Ropac. Un pré-vernissage privé de son exposition de décembre pour une brochette de personnages célèbres et de journalistes qui comptent.
J’en suis évidemment.
Le titre : « Symbiose hyperréaliste, anamorphose symbolique ».
Si vous pensez que ce titre ne veut rien dire à part se mordre la queue jusqu’à la trois cent soixantième phalange, vous avez raison, mais si vous comptez essayer de comprendre quelque chose aux textes de ces intellectuels qui écrivent sur l’Art, devenez Rabbin en Espagne et qu’on n’en parle plus.
Ou bonne-sœur en Égypte, je ne suis pas sectaire.
Une belle exposition d’un fatras d’ « œuvres » dont on se demande comment elles ont pu avoir du succès à une époque heureusement révolue. Il y a de tout, depuis les paquets de cigarettes froissés de trois mètres de haut, les bouteilles de coca écrasées, les piscines gigantesques, l’œuf au plat, la voiture noyée, les effets d’optique de portes de WC ouvertes les effets d’optique de portes de WC fermées et enfin, les bébés en résine couchés sur le côté.
Beurk !
Il parait que, malgré tout, cela vaut encore assez cher.
Nous nous promenions dans les étages en essayant d’éviter les discours qui ne manqueraient pas d’être long et chiants et de repérer le buffet qui serait certainement fin et délicieux. A la galerie Thaddaeus Ropac, on a mauvais goût mais on sait recevoir.
Et voilà que, soudain, je me suis arrêté devant cette toile de Kacere plus haute que moi.
Moi, si l’on me prend par les sentiments !
Mais je vois vos yeux qui s’affolent. Vous ne connaissez pas John Kacere.
Ne vous inquiétez pas, il y en a d’autres.
En deux mots…
Après quelques tentatives abstraites affligeantes, John Kacere s’est mis à peindre de jolies petites culottes dans des formats gigantesques ce qui, pour des petites culottes, est quand même un comble.
Il s’est avéré que ça se vendait.
Il a donc continué et en a fait, du coup, un but dans sa vie.
En même temps, est-ce un but dans la vie que de peindre en immense format de petites culottes ?
Soudain, j’en doute.
J’en doute d’autant plus en croisant le regard de Cybille qui n’est pas tourné vers le tableau comme tout regard qui se respecte mais vers moi.
Oups !
Elle aurait des flammes à la place des pupilles que je ne serais plus qu’un morceau de charbon racorni.
– Rassure-moi, tu n’envisages pas d’acheter cette horreur ?
– Euh, eh bien, peut-être… à réfléchir… je me disais que… dans ma chambre…
– N’importe quoi !
Cybille s’approche d’une table où figure la liste des peinturlurages et leur prix. Elle tourne les pages, s’arrête.
– Ah oui, quand même !
Elle revient vers moi, les yeux déjà moins agressifs. Je sens une petite idée qui a germé dans sa tête. Voyons si ça peut être intéressant.
– Voici ce que je te propose. Pour le prix d’un ou deux restaurant et d’une ou deux robes de soirée, je te propose de poser pour toi aussi souvent, aussi longtemps que tu voudras et avec la tenue qui te conviendra. Tu n’auras plus ensuite qu’à faire un agrandissement de la photo que tu trouveras la plus évocatrice et tu auras une œuvre bien plus magistrale que celle là.
Elle a raison.
Je lui tape dans la main.
Marché conclu.
– Bien entendu, c’est toi qui fournit le matériel.
Bien entendu.
Je sais déjà quels articles je vais choisir et je ne parle pas d’appareil photo, j’en salive d’avance. Je suis comme ça, pragmatique et efficace.
Comme quoi, l’Art avec un grand A, pas besoin d’en causer pendant des jours, il suffit d’un artiste de qualité et d’une jolie femme.
Pas plus compliqué que ça !
Le tableau que je vous présente est de John Kacere et se prénomme Valérie.
Pour son prix, demandez à la galerie.

