Peinturluresque

Vous n’allez pas le croire, mais moi, qui suis pourtant d’habitude un garçon subtil et disons le incroyablement intelligent, il m’est arrivé, il y a quinze jours, une aventure où j’aurais pu me poser carrément des questions.
Je vous explique…
Depuis quelque temps Aurélie avait des velléités de peinture.
Quand je dis velléités, je devrais plutôt dire obsessions.
Elle entrait dans une pièce, n’importe laquelle, la regardait d’un air fin, en connaisseuse qui sait de quoi il retourne grâce à des études longues, approfondies, récompensées du diplôme ad-hoc, et me disait.
– Tu devrais repeindre cette pièce, un petit orange à pois roses irait bien mieux avec ton canapé régence que ce ton vert fadasse qui tue totalement ton Van-Gogh.
Ou encore…
– Crois moi, ta cuisine en rouge pissenlit couplé d’un orange hortensia bien crémeux créerait une ambiance conviviale bien plus propice à des mets succulents pour des gens de qualité que ce blanc sans consistance.
Ah !
Je n’aime pas les travaux, je n’aime pas les odeurs de peinture, je n’aime pas qu’on me bouscule mon intérieur sous prétexte de l’améliorer, j’aime ma maison comme elle est, mes murs de la couleur qu’ils sont, et mon Van-Gogh de la folie qu’il transporte.
Alors je répondais d’une façon tout à fait vague. Je suis très doué en façons vagues.
– Moui, bien sûr, bien sûr. Et si on allait plutôt t’acheter cette robe en soie sauvage du Maroc qui te faisait envie comme à moi.
Car il faut dire qu’Aurélie dans une robe en soie sauvage du Maroc c’est mieux qu’un ananas gorgé de rhum, ça fond sous la langue, c’est délicieux, et ça fait tout sauter.
On achetait la robe, je me pensais tranquille.
Pas du tout. L’après-midi, le soir même, le lendemain au mieux, elle recommençait ses allusions peinturlufériques.
Bon, j’ai craqué.
Je craque toujours quand une femme, surtout une Aurélie, me prend par les sentiments dans une nuisette transparente avec à peu près rien en dessous.
Je peux être très compréhensif.
Et puis l’imaginer, montée sur un escabeau, robe blanche à pois rouge relevée, jupon transparent et porte jarretelles assorti, un pinceau dans une main, ses jambes dans les miennes, m’a persuadé que je faisais le bon choix.
Je lui ai donc laissé une buanderie désaffectée pour s’amuser, pas trop loin pour pouvoir intervenir au besoin, mais pas trop près si elle devait faire du barouf, et hop là, qu’elle puisse exprimer toute sa créativité.
Et moi aussi.
Je fus naïf.
Ce qui m’arrive de moins en moins heureusement, l’âge a de ces prescience qui nous évite bien des désagréments.
Mais cette fois, je fus naïf.
Je pensais qu’elle allait acheter un matériel sympa, s’exprimer avec joie fulgurante et taches fulgurées dans cette buanderie digne de son don artistique enfin débridé. Je pensais que de temps en temps j’irai la déranger amicalement dans son labeur coloriférant.
Pas du tout.
Elle s’enferma direct m’affirmant que, sinon, il n’y aurait pas de surprise.
Surprise ? Comme si j’avais envie de surprises !
Je me demande comment j’ai pu être aussi naïf.
Mais je la crus et vaquais donc à d’autres occupations qui ne s’appelaient pas Aurélie mais qui étaient bien occupantes aussi.
Ce qui fait qu’elle me sortit un peu de l’esprit avec sa buanderie, ses arc en ciel multicolores et ses surprises.
Jusqu’au vendredi soir où mon valet Horace vint me prévenir que les peintres d’Aurélie voulaient être payé pour leur travail.
Les peintres ?
Pour leur travail ?
Elle ne peignait donc pas seule.
Ils étaient deux. Normal, un seul n’aurait pas suffi.
Superbes, élancés, musculeux, pas plus peintres que vous ou moi je vous en garantis.
Alors je pris la seule bonne décision. Je payai ces messieurs le triple de ce qu’ils demandaient à la condition qu’ils emportent Aurélie avec leurs pinceaux.
– Mais qu’allons-nous en faire ? Me dirent-ils.
– Vous trouverez bien. Il ne manque pas de vieux messieurs qui ont besoin d’une petite femme pour refaire leur peinture et leur intérieur.
Ils ont trouvé.
Il parait, aux dernières nouvelles, qu’elle serait chez le comte de P…. Je le sais car un ami m’a assuré que son château était maintenant rose des douves aux tourelles.
– Et tu verrais ça, il vit avec une petite femme superbe et jolie… jolie… on la croirait dessinée par un peintre. Si tu veux je te la présenterai.
– Ah non, merci, je ne fréquente plus les femmes dessinées par des peintres, j’ai trop peur de me tacher sur la peinture fraiche.
Il a ri.
Pas moi.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *