– Tu écris ?
– Oui.
– Des romans ?
– Entre autres.
– Ça paye ?
– Euh, comme-ci comme ça.
– Combien ?
Il faut l’avouer, Suzie est superbe, intelligente, voluptueuse. Au lit c’est une tuerie, mais je me demande si elle n’est pas un rien mercantile.
– Eh bien mon dernier roman « La Castafiore a les yeux verts » s’est vendu à 100 000 exemplaires… ce qui nous fait…à dix pour cent de droits sur un prix de vente de quinze euros l’exemplaire… voyons…
– Un million cinq-cent mille euros.
Quand je vous dis que dès qu’il s’agit d’argent Suzie sait compter.
Elle repose mon roman « Catastrophe à Cagliostro » qu’elle parcourait des yeux, allongée sur le lit, totalement nue à l’exception d’un morceau de couverture légèrement posé sur le bas de ses fesses. Rien de tel pour que j’ai les yeux en billes de loto, le front en sueur et le cerveau façon jelly anglaise rose et gélatineuse.
Et pourtant, j’en aurais bien besoin de mon cerveau pour trouver une sortie de secours avant l’explosion imminente.
– Tu vas m’apprendre.
Baoum !
Encore ?
Mais qu’est-ce que c’est que toutes ces femmes qui veulent absolument que je leur apprenne des choses qui n’ont rien à voir avec mes sujets préférés. Déjà Clémentine et son billard (voir un autre article déjà publié), et maintenant Suzie et l’écriture. J’aime écrire d’accord mais je ne veux pas apprendre à qui que ce soit à le faire surtout pas à une femme sensuelle et érotique comme Suzie. A la fin j’aurais l’impression de faire l’amour à un roman de Balzac ou de Zola. Et on sait combien ces deux écrivains sont peu portés sur la chose. En tout cas dans leurs écrits.
Encore ce serait Victor Hugo. Mais écrire comme le père Hugo, c’est vouloir attraper la lune.
– Pourquoi veux-tu apprendre à écrire ?
– Pour gagner plein d’argent.
Question idiote. Jelly je vous dis.
– Mais tu en gagnes déjà plein.
Suzie, dans les moments où elle n’est pas chez moi, c’est à dire quatre-vingt pour cent du temps, pose pour des magazines et défile plus ou moins habillée dans des soirées plus ou moins privées. Ça paye beaucoup mieux qu’un roman à quatre sous.
Elle me fixe d’un regard doux en se mordant la lèvre. Ce n’est plus de la Jelly, c’est de la mayonnaise.
– Je veux écrire.
– C’est long, ardu, difficile et très ingrat. Il faut des mois pour pondre un bouquin et parfois il ne marche pas.
Ouf, je sens que j’ai marqué un point à voir son mordillement de lèvre qui s’intensifie.
Après un silence assez long elle me lâche.
– Ah !
Je n’aime pas ce « Ah ». Croyez-en ma longue expérience, c’est un « Ah » qui sent le moisi.
– Je sais. Tu vas m’écrire un roman, nous le publierons sous nos deux noms et nous partagerons.
– Euh…
– Ou, mieux encore, écris ma biographie. Ça se vend bien les biographies, non ?
– Euh oui.
– Eh bien voilà !
Voilà quoi ?
Mais je n’ai pas le temps d’en dire plus. Sur ces mots fatidiques elle a bondit, s’est habillée, maquillée en quatrième vitesse, m’a mis un baiser sur le nez, avant de disparaître dans une porte claquée. Un rendez-vous pour un casting où elle serait en retard mais bon, on l’attend toujours.
Tu m’étonnes.
J’ai donc un dilemme.
Soit j’écris la biographie d’une femme de vingt-huit ans et trois quart ce qui risque de faire un volume assez court. Sulfureux mais court. Et puis partager des droits d’auteur avec Suzie, je crains que ce ne soit pas très équitable, un cerveau en Jelly n’étant pas le meilleur outil pour les négocier.
Soit je trouve une raison valable de ne pas le faire, je me trouve plein d’obligations qui m’empêche de la voir, et je trouve une autre femme du jeudi. En même temps si je fais ça, je la connais, elle va me défoncer ma porte, me ruiner mon intérieur et m’arracher les yeux.
Argh !
Je sais.
C’est tout simple finalement. Je vais faire comme à l’habitude avec mes éditeurs quand ils me font une commande. Je vais lui dire que j’écris sa biographie, je vais m’y mettre avec l’ardeur que je me connais, dix ans après on y sera toujours et elle m’aura quitté.
D’ailleurs je commence tout de suite.
Voyons…
Suzie est une femme superbe qui a un joli visage et de gros seins.
Bon début !

