Hier, ma comptable m’a demandé de venir la voir dans son bureau.
J’en ai été ravi. C’est toujours un plaisir.
Oui, j’ai une comptable et non un comptable, qu’est-ce que vous croyez ? Je ne me vois pas discuter de mes affaires de gros sous avec un type poilu, moustachu et sentant la sueur.
Enfin quoi !
Je l’ai choisie en m’attachant aux critères professionnels les plus exigeants. Elle a la trentaine, de longues jambes, des seins bien posés et s’habille toujours de tenues chics, courtes et décolletées.
Hier elle portait un tailleur rouge, jupe très courte, veste cintrée ouverte sur un chemisier à deux boutons déboutonnés.
Quand je vous dis qu’elle est professionnelle.
Elle m’a fixé de ses yeux bleu-pervenche bien dessinés. Ce n’est pas nécessaire pour une bonne comptable d’avoir des yeux bleu-pervenche mais c’est un atout supplémentaire non négligeable.
– Je viens de vérifier vos comptes du premier semestre, ils sont bons et en forte progression.
Voilà un rendez-vous qui commençait sous les meilleurs auspices. J’ai appliqué mon air modeste du parfait chef d’entreprise sur mon visage buriné. Je fais très bien l’air modeste.
– Il y a deux trois points de détail dont nous discuterons ultérieurement…
Impeccable. J’aime beaucoup discuter « ultérieurement » avec ma comptable.
– Mais je voulais vous parler d’un point problématique, votre secrétaire.
Quoi ma secrétaire ? Qu’est-ce qu’Alicia peut bien poser comme problèmes ? C’est ma secrétaire depuis maintenant deux ans. Elle me convient en tous points aussi bien physiques que dans ses tenues. Par exemple aujourd’hui, pendant que j’écris ce compte-rendu, elle porte une petite tenue de secrétaire bien convenable, jupe ajustée très courte, bas et porte jarretelles rouges, chemisier blanc totalement ouvert sans soutien-gorge, cravate bleue et chaussures assorties à très hauts talons.
Je ne vois pas ce que l’on pourrait reprocher à une telle perle !
– Son salaire.
– Son salaire ?
– Mais oui, 4000 euros net sans compter les primes, plus 2000 euros de frais d’habillement, n’est-ce pas un tantinet exagéré ?
– Vous connaissez la difficulté pour trouver une bonne secrétaire ?
– Je sais.
Lucinda – ma comptable s’appelle Lucinda – s’est mordu la lèvre ce qui lui donne un air coquin que j’apprécie particulièrement.
– Mais voyez-vous, au vu des relevés comptables et des courriers qu’elle m’envoie, je pense qu’elle n’est peut-être pas si compétente que vous le pensez.
Je l’ai regardée fixement sans rétorquer. Comme toujours lorsque je l’applique, mon regard fixe déstabilise mon interlocutrice. Lucinda, ennuyée, a tiré sur sa jupe d’un geste assez révélateur.
Mais elle est têtue.
– Je pense qu’aujourd’hui, vous pourriez tout à fait vous passer de votre secrétaire pour un ordinateur performant avec un logiciel de comptabilité et une IA adaptée. Cela aurait de meilleurs résultats pour votre entreprise et serait largement moins onéreux.
– Ma secrétaire m’est indispensable, je ne veux et ne peux m’en passer.
Lucinda s’est mordillé le bout des ongles oubliant sa jupe qui est remontée. Tout allait donc très bien.
Mais elle est vraiment têtue.
– Écoutez, envoyez-moi un mail pour m’expliquer toutes les compétences que vous apporte « soi-disant » votre secrétaire et je vous garantis qu’une IA et moi pourront la remplacer avantageusement.
D’accord.
Je suis sorti de son bureau avec un dernier panoramique sur ses jambes fabuleuses. Après tout, peut-être avait-elle raison.
Le soir même, car je suis un gars efficace et pragmatique, je lui ai envoyé par mail le détail circonstancié des divers talents de ma secrétaire.
Ce matin, car ma comptable est non moins efficace, j’ai reçu ce mail laconique que je conserverai dans ma boite car il me plait beaucoup.
« Gardez votre secrétaire ».
Peinturluresque
Vous n’allez pas le croire, mais moi, qui suis pourtant d’habitude un garçon subtil et disons le incroyablement intelligent, il m’est arrivé, il y a quinze jours, une aventure où j’aurais pu me poser carrément des questions.
Je vous explique…
Depuis quelque temps Aurélie avait des velléités de peinture.
Quand je dis velléités, je devrais plutôt dire obsessions.
Elle entrait dans une pièce, n’importe laquelle, la regardait d’un air fin, en connaisseuse qui sait de quoi il retourne grâce à des études longues, approfondies, récompensées du diplôme ad-hoc, et me disait.
– Tu devrais repeindre cette pièce, un petit orange à pois roses irait bien mieux avec ton canapé régence que ce ton vert fadasse qui tue totalement ton Van-Gogh.
Ou encore…
– Crois moi, ta cuisine en rouge pissenlit couplé d’un orange hortensia bien crémeux créerait une ambiance conviviale bien plus propice à des mets succulents pour des gens de qualité que ce blanc sans consistance.
Ah !
Je n’aime pas les travaux, je n’aime pas les odeurs de peinture, je n’aime pas qu’on me bouscule mon intérieur sous prétexte de l’améliorer, j’aime ma maison comme elle est, mes murs de la couleur qu’ils sont, et mon Van-Gogh de la folie qu’il transporte.
Alors je répondais d’une façon tout à fait vague. Je suis très doué en façons vagues.
– Moui, bien sûr, bien sûr. Et si on allait plutôt t’acheter cette robe en soie sauvage du Maroc qui te faisait envie comme à moi.
Car il faut dire qu’Aurélie dans une robe en soie sauvage du Maroc c’est mieux qu’un ananas gorgé de rhum, ça fond sous la langue, c’est délicieux, et ça fait tout sauter.
On achetait la robe, je me pensais tranquille.
Pas du tout. L’après-midi, le soir même, le lendemain au mieux, elle recommençait ses allusions peinturlufériques.
Bon, j’ai craqué.
Je craque toujours quand une femme, surtout une Aurélie, me prend par les sentiments dans une nuisette transparente avec à peu près rien en dessous.
Je peux être très compréhensif.
Et puis l’imaginer, montée sur un escabeau, robe blanche à pois rouge relevée, jupon transparent et porte jarretelles assorti, un pinceau dans une main, ses jambes dans les miennes, m’a persuadé que je faisais le bon choix.
Je lui ai donc laissé une buanderie désaffectée pour s’amuser, pas trop loin pour pouvoir intervenir au besoin, mais pas trop près si elle devait faire du barouf, et hop là, qu’elle puisse exprimer toute sa créativité.
Et moi aussi.
Je fus naïf.
Ce qui m’arrive de moins en moins heureusement, l’âge a de ces prescience qui nous évite bien des désagréments.
Mais cette fois, je fus naïf.
Je pensais qu’elle allait acheter un matériel sympa, s’exprimer avec joie fulgurante et taches fulgurées dans cette buanderie digne de son don artistique enfin débridé. Je pensais que de temps en temps j’irai la déranger amicalement dans son labeur coloriférant.
Pas du tout.
Elle s’enferma direct m’affirmant que, sinon, il n’y aurait pas de surprise.
Surprise ? Comme si j’avais envie de surprises !
Je me demande comment j’ai pu être aussi naïf.
Mais je la crus et vaquais donc à d’autres occupations qui ne s’appelaient pas Aurélie mais qui étaient bien occupantes aussi.
Ce qui fait qu’elle me sortit un peu de l’esprit avec sa buanderie, ses arc en ciel multicolores et ses surprises.
Jusqu’au vendredi soir où mon valet Horace vint me prévenir que les peintres d’Aurélie voulaient être payé pour leur travail.
Les peintres ?
Pour leur travail ?
Elle ne peignait donc pas seule.
Ils étaient deux. Normal, un seul n’aurait pas suffi.
Superbes, élancés, musculeux, pas plus peintres que vous ou moi je vous en garantis.
Alors je pris la seule bonne décision. Je payai ces messieurs le triple de ce qu’ils demandaient à la condition qu’ils emportent Aurélie avec leurs pinceaux.
– Mais qu’allons-nous en faire ? Me dirent-ils.
– Vous trouverez bien. Il ne manque pas de vieux messieurs qui ont besoin d’une petite femme pour refaire leur peinture et leur intérieur.
Ils ont trouvé.
Il parait, aux dernières nouvelles, qu’elle serait chez le comte de P…. Je le sais car un ami m’a assuré que son château était maintenant rose des douves aux tourelles.
– Et tu verrais ça, il vit avec une petite femme superbe et jolie… jolie… on la croirait dessinée par un peintre. Si tu veux je te la présenterai.
– Ah non, merci, je ne fréquente plus les femmes dessinées par des peintres, j’ai trop peur de me tacher sur la peinture fraiche.
Il a ri.
Pas moi.
Le rêve
– J’ai encore fait un rêve bizarre cette nuit.
Aïe !
Quand Michelle fait un « rêve bizarre », en général c’est plutôt un rêve non pas « bizarre » mais totalement taré et généralement elle en a pour une heure d’explications au bas mot.
J’aime bien Michelle mais je n’ai pas le temps pour ses rêves « bizarres ».
Ceci étant, vouloir arrêter Michelle quand elle veut te raconter un rêve qu’elle a fait c’est comme vouloir calmer un ouragan avec une fourchette en plastique, autant laisser la maison s’envoler et basta.
Alors je la laisse me suivre dans l’ascenseur, me poursuivre dans le hall, et monter dans ma voiture. Je regarde les cours de la bourse en l’écoutant d’une oreille distraite. Car si on ne fait pas mine de l’écouter, Michelle se vexe et là, ça peut être encore plus long.
– J’étais en train de voler au dessus de la mer qui était verte emportée par un avion de papier qui était blanc mais géant. Je tenais à la main une petite ombrelle très mignonne et trois charmants nuages coquins m’accompagnaient.
– Mais oui, mais oui.
Il semblerait que les actions de Glencore Baar soient en progression ce qui est une bonne nouvelle car j’en suis le président directeur général.
Bien !
– Bon ça c’est normal, ce n’est pas la première fois que je le rêve, mais ce qui était étrange cette fois, c’est que je n’étais habillée que d’un corset gris court et d’une petite culotte à volants du plus charmant effet.
– Mais oui, mais oui.
Quant à Exor. Slough. , eh bien ça ne va pas mal du tout à condition bien entendu de remplacer son directeur général, John Elkann. Un bon parachute doré et on n’en parlera plus.
Très bien !
– Et puis, il faut bien l’avouer, ces petits bas au dessus du genou, c’est vraiment craquant.
– Mais oui, mais oui.
Pour ce qui est de Morgan-Stanley, on doit pouvoir faire mieux si…
Qu’est-ce qu’elle dit ?
Je repose mon ordinateur, regarde plus attentivement Michelle.
Je m’en doutais.
Si elle n’est pas sous l’avion de papier dont elle parle, si elle ne tient pas le parasol, par contre elle est conforme au reste de sa description.
Alors j’ai fait ce que vous auriez fait à ma place, j’ai demandé à Stanley, mon chauffeur, de nous déposer devant mon appartement de Regent Street. J’ai toujours quelques minutes à consacrer au rêve, c’est normal, quand on est dans les affaires il faut être créatif.
La seule chose qui me pose encore problème, c’est pourquoi, pendant que j’emportais ma proie vers mon dernier étage avec terrasse, j’ai entendu Michelle murmurer.
– Eh bien, quand même !
Le café
Il y a une femme dans mon café.
Je m’approche un peu plus pour mieux voir.
C’est Daphné.
Que fais Daphné dans mon café du bar de la Place de la Mairie qui, comme son nom l’indique, est on ne peut plus tranquille d’habitude ?
Jusque là, les expresso qu’ils servaient dans ce bar n’avaient pas de goût mais pas de créativité non plus. Des expressos rassurants en un mot.
Et puis voilà…
Daphné.
Bon il est vrai que Daphné a toujours su se mettre dans des situations pas possibles. Il est certain d’autre part que j’aurais du l’appeler depuis plus de trois jours et que, de peur de savoir dans quelle catastrophe elle s’était encore fourrée, je ne l’ai pas fait. J’aime beaucoup Daphné. Elle a un petit grain de beauté juste là que j’adore particulièrement, du souffle et de la résistance, mais bon, c’est une mine d’ennuis, et parfois, les ennuis, moins j’en ai mieux je me porte.
Tant pis. Daphné dans mon café ce n’est pas possible, je l’appelle.
Pas le temps. Mon portable affiche « Daphné » en lançant le cri rageur que j’ai placé pour elle.
– Allo ?
– Coucou, devine, c’est Daphné. Je t’appelle parce que je viens de rêver que j’étais toute nue dans ton café et qu’il était trop chaud.
– Ah ?
– Mais il y a au moins trois jours que tu ne m’as pas appelé mon cochon et voilà le résultat, je rêve de toi… et toute nue encore.
– Euh… oui… je…
– Mais ça tombe bien que je t’ai, tu vas pouvoir m’aider, parce qu’il m’arrive une de ces emmerdes, tu ne vas pas le croire… Tu as toujours ton pistolet.
Et merde !
Je regarde mon café, plus de Daphné.
C’est toujours ça.
Les roses
Elle regardait l’échoppe de la fleuriste, songeuse.
A quoi pouvait-elle penser ?
A un amoureux peut-être, à sa mère, ou tout bêtement à une envie de fleurs.
Je m’approchai, lui murmurai à l’oreille très doucement.
– Et si un inconnu vous offrait des fleurs ?
Elle ne bougea pas, à peine un clignement de ses cils qu’elle avait longs.
– j’en serais ravie.
– Ne bougez pas.
J’entrai dans la boutique, lui commandai un bouquet de roses rouges magnifiques, revint, mis un genou en terre.
– Permettez-moi, belle inconnue, de vous offrir ces roses en gage de mon admiration éternelle.
Elle sourit, prit le bouquet.
– Et maintenant, me lancai-je tout à mon enthousiasme, me permettez vous de vous offrir des fleurs d’un autre cachet, des fleurs peintes sur votre corps nu que j’imagine d’albâtre. Je suis dessinateur voyez-vous et j’aime dessiner des fleurs sur les femmes qui me plaisent.
Elle sourit derechef, ni surprise ni choquée.
– Mais bien volontiers, conduisez-moi à votre atelier, je serai ravie d’être croquée par vous…
Sans laisser le temps changer la donne je la précédai vers mon atelier tout proche, elle, ma belle inconnue superbe, parfumée des roses de ce bouquet aussi rouge que sa bouche vermeille.
– Ce sera cinq-cents francs, me dit-elle …parce que c’est vous.
Cendrillon
Les jambes étaient longues, belles. Il rêvait d’elle le nez aux oiseaux, le sourcil un peu froncé, concentré.
– S’il te plait ! lui-dit-elle. Invente-moi une histoire, un jeu !
– Un jeu qui serait une histoire, j’ai ça. Jouons donc à Cendrillon.
Elle sourit.
– Cela semble évocateur. Raconte.
– Pour cette histoire, il te faut des chaussures. As-tu, dans ta garde robe à multiples facettes, des escarpins de vair ou de verre ?
– J’ai des escarpins de plastique, transparents comme de l’eau claire.
– Mouich. Cela pourra faire l’affaire mais n’en abuse pas. Possèdes-tu une tenue de princesse, des bas de princesse, des dessous de princesse.
– Oui. J’ai toujours rêvé d’être une princesse.
– Alors va te préparer, je t’attends dehors pour t’emmener au bal.
Elle courut se faire merveilleuse.
Elle commença par le maquillage qui fut long, compliqué, car les deux premiers essais ne lui convenaient pas.
Elle continua par des dessous de satin, puis de soie, s’attarda sur une dentelle, choisit une transparence de vair ou de verre, revint à la soie, plus chic, assortie aux bas de même matière.
Elle avait huit robes qui pouvaient convenir. Après une série d’essais non couronnés de succès, elle opta pour la treizième, glamour, vintage, et chiffre porte bonheur.
Tout était parfait, les escarpins lui seyaient, il ne restait que les bijoux, ce fut un peu long. Elle opta pour une rivière de diamants et deux boucles de corail clair.
Quand elle sortit, joyeuse, les lampadaires éclairaient la nuit.
Bien noire.
Bien tard.
Sur une citrouille posée devant la porte de son loft de princesse, un mot prétendait.
« Il est minuit passé, ma jaguar s’est transformée, je suis parti avec la fée ».
A Paris
A Paris.
Descendre un escalier.
Regarder la seine qui est si grise, les péniches qui sont si longues, le ciel qui n’est pas si bleu, les arbres, les passants qui passent sans vous regarder.
Admirer les femmes qui sont si belles.
Et puis croiser une beauté qui remonte pendant que vous descendez.
S’arrêter.
Faire demi-tour, ré-escalader quatre à quatre, l’air de rien.
En arrivant sur le quai, essoufflé, la découvrir dans les bras bêtes et musclés d’un bellâtre plus beau que vous.
Râler.
Se dire : Mais qu’est-ce que je fais là ?
Se demander : Mais où j’allais déjà ?
Et redescendre…
Un escalier.
A Paris.
Photo : L’intemporelle éphémère
Des airs
‒ Tu sais que tu ressemble prodigieusement à Carole Bouquet ce matin. J’adore Carole Bouquet.
Elle tourne la tête, l’observe, l’œil froid. Allongé sur le lit dans la fausse pause décontractée qui l’avantage, il est plutôt beau gosse, on ne peut pas dire. Ventre plat, jambes musclées, bras souples, gueule d’ange, vingt-huit ans.
Con comme une valise.
‒ La semaine dernière, je ressemblais à Cyd Charisse, il y a deux jours c’était Lauren Bacall, hier Grace Kelly et maintenant Carole Bouquet. Ce n’est plus un carnet de rendez-vous, c’est un étalage de fleuriste.
‒ Que des stars, et de quelle classe !
Il arbore ce sourire fat qu’elle ne supporte déjà plus après à peine quinze jours.
‒ Et, sais tu seulement comment je m’appelle… vraiment.
‒ Mais oui… Evidemment… euh…
Elle laisse planer le silence une poignée de secondes puis presse le bouton de son majordome beau, chic, baraqué et toujours un peu jaloux.
‒ Charles ? Une merde à débarrasser.
Il a l’habitude.
Apparition
Le meilleur moment de la journée.
Huit heures du matin. Du soleil, de la chaleur mais pas trop.
Assis confortablement dans mon fauteuil de rotin préféré, devant ma table en teck lustré, un café chaud à point dans un bol de faïence clair, deux tranches de pain complet recouvertes d’une fine couche de beurre, alignées en parallèle dans l’axe exact de la petite cuillère, un kimono de soie rouge-bordeaux agencé gracieusement sur mon corps musclé, la baie vitrée qui baigne la pièce d’une clarté rose orangée.
Bien.
Je prends un morceau de sucre de canne, le fait glisser doucement vers le liquide fumant.
Ne pas éclabousser.
A cet instant précis, la porte blindée de mon appartement… de célibataire s’ouvre en coup de vent. Mme A.A., l’une de mes clientes, je suis gestionnaire de patrimoine à mes moments perdus, traverse la pièce dans un élan efficace assorti d’un tailleur-chanel gris du plus bel effet, pour disparaître derrière la porte côté jardin, ma chambre.
Il semblerait que j’ai encore oublié de fermer à clef hier. Argh !
Je pâlis.
Vision hallucinée de mon imagination scabreuse ou réalité fulgurante ?
Qu’est-ce que la femme d’un industriel coté en bourse pourrait bien fiche dans mon appartement… de célibataire ?
J’envisage le pire.
Je palis derechef.
Foin des hypothèses triviales, restons dans le pragmatique. Je repose délicatement le second sucre déjà préparé, me lève, organise mon kimono élégamment sur mon corps d’adonis, puis ouvre la porte susdite d’une poigne ferme.
Je reste béant.
La dame est allongée sur mon lit… de célibataire, n’ayant conservé sur son corps d’albâtre qu’un frisson de dentelles, un porte-jarretelles, une paire de bas sur une paire de jambes si longues que j’en ai des frissons, et deux petites chaussures qui ne demandent qu’à être enlevées.
─ Ce crétin couche encore avec une de ses greluches de secrétaires, alors, c’est décidé, je le trompe avec mon banquier.
Elle conclut, joliment boudeuse.
─ C’est plus chic.
Sans attendre, elle se bande les yeux, s’alanguit sur ma couverture d’alépine blanche et crie… mais avec distinction.
─ Je suis à toi. Fais de moi… tout ce que tu voudras !
Ah.
Qu’auriez-vous fait à ma place ?
Je sors de la chambre, traverse jusqu’à la porte blindée, la ferme à triple tour, vérifie que les cinq serrures sont bien dans leurs clenches. On n’est jamais trop prudent.
Et retraverse dans l’autre sens pour lui faire… tout ce que je voudrai.
Je ne perds jamais une cliente.
C’est un principe.
Commercial.
Photo : Alcina Aubade
Magique… ou pas !
Ce matin, je me lève d’assez mauvaise humeur. Le matin n’est pas ma tasse de thé ou plutôt si car je déteste le thé.
J’ouvre ma porte, envisageant de prendre ma voiture pour aller à un rendez-vous qui m’attendait avec quelque impatience croyais-je mais vous allez voir que ce n’était pas complètement vrai.
Et qu’est-ce que je découvre ?
Qu’il pleut à seau, à verse, à tombereaux entiers, que c’en est une pitié toute cette eau jetée en pure perte sur la voie publique.
Et vraiment humide bien entendu.
Que fait la police, je me le demande ?
Ce qui serait bien, que je me dis à moi-même (car je me fais souvent des réflexions très intelligentes à moi-même), c’est que cette pluie s’arrêtasse ce qui éviterait que je me mouillasse.
Et aussitôt, la pluie cessasse.
─ Tiens ! Que je me réflexionne.
Je prends donc sèchement ma voiture, je traverse la ville et j’arrive en vue du carrefour du boulevard machin truc avec les avenues machin chouette et machin chose.
A cet endroit, vous le savez aussi bien que moi, se positionne un feu tricolore particulièrement pervers. Quand on approche il est vert, quand on veut passer il est rouge.
Les feux tricolores sont ainsi, abscons et obtus.
Il était vert.
Ce qui serait bien, que je me redis à moi-même avec cette présence d’esprit dont j’ai déjà parlé plus haut, ce serait qu’il restât dans cet état jusqu’après mon passage.
Et aussitôt, il reste vert.
Je passe.
─ Tiens ! Tiens ! Que je me reréflexionne derechef.
Je me gare devant l’immeuble de cent quatre vingt étages et des bananes où doit m’attendre avec une certaine impatience (croyais-je) mon rendez vous, sors de ma voiture, pénètre le hall et me trouve devant l’ascenseur que vous imaginez.
Le genre, car ils sont tous comme ça, à vous faire poiroter des heures devant un bouton allumé qui vous proclame… qu’un jour… peut-être… mon ascenseur viendra.
Ce qui serait bien, que je me reredis à moi-même (Vous ai-je exprimé combien je sais être clairvoyant et futé lorsque je suis en discussion avec mon moi intérieur ?), c’est qu’en appuyant sur le bouton il s’ouvre.
J’appuie.
Et aussitôt, il s’ouvre.
─ Tiens ! Tiens ! Tiens ! Que je me rereréfléxionne, c’est donc un don.
Intéressant !
Et je file vers les étages.
Je sors de l’ascenseur.
Accueil cosy, moquette et secrétaire bien chics comme il sied.
Surprise, mon interlocuteur est occupé.
Si je veux bien attendre quelques minutes.
Je grommelle.
Je ronchonne.
Je marmonne.
Je m’assieds.
Je triture deux trois journaux sans intérêt, je gribouille un truc sur mon carnet à spirale, et au bout de 23 longues secondes et sept centièmes infinis, je commence à m’ennuyer.
Bon !
Que faire ?
Utilisons mon don tout neuf que je me dis (Vous ai-je ? Ah bon !).
Je regarde donc la secrétaire.
Ce qui serait bien que je me dis à moi-même en détaillant sa tenue, c’est qu’elle me fasse un joli striptease
Sans prétention, je ne suis pas difficile.
Avec la musique d’ambiance sirupeuse du lieu, ça pourrait fonctionner.
Comme ça je me désennuyerais tranquillement, je dégrommèllerais, déronchonnerais, démarmonnerais, et tout serait pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Eh bien croyez-le ou pas.
Elle ne le fit pas.
Ce qui prouve mieux qu’un long discours que les dons ne sont plus ce qu’ils étaient.
Ce qui est bien triste.
Les secrétaires non plus vous me direz.
Mais ça on le savait déjà.




