Chapeau

Il descend de la Jaguar décapotable, lisse son pantalon noir, sort une cigarette longue, menthol, d’un porte-paquet d’argent nickelé, la glisse entre ses lèvres fines, commence à chercher son briquet tout en observant les alentours.
Une ville d’eau comme il aime, façades blanches, promenade à rambarde de pierres sur un lac lisse comme un drap, vaste comme une mer, agencé de deux trois bateaux de promenade à cheminées d’écume.
Deux trois villas Art-Déco, le casino à marquises de métal, la longue plage de sable blanc.
Décor de film pour romance d’amour.
Il cherche des yeux les robes à crinolines, les déesses à taille serrée, le vaste chapeau, l’ombrelle.
Ne les trouve pas.
Juste, de ci de là, quelques touristes-étrons affublés du short foutoir à jambes-saucisses, du tee-shirt godaillant, de la casquette à visière de plastique transparent.
Rares heureusement, on est en juin.
Mais vieux évidemment, on est en juin.
Tant pis.
Il allonge quelques pas, lance au ciel un rond de fumée presque parfait, cherche une terrasse accueillante.
‒ Enfin, vous voilà !
Deux mains gantées sur ses yeux, une voix féminine qu’il ne connait pas, qu’il n’a jamais entendu auparavant.
Il n’oublie jamais ces choses là.
Il se retourne.
Ah !
Une femme, une vraie. Yeux noirs dessinés de mascara, cheveux noirs sous un chapeau vaste et large, robe qui flotte au vent à haut de dentelles totalement transparentes, jambes galbées de soie, chaussures hautes, découvertes, et, cerise sur le gâteau si l’on peut dire, un long fume cigarette aussi érotique qu’incongru.
Il sourit.
‒ Vous êtes ?
‒ Celle que vous attendiez, celle qui vous guettait depuis deux jours qu’elle était arrivée et que vous n’y étiez pas. Celle qui s’ennuyait sans vous mais, enfin, vous voilà.
Son sourire s’agrandit.
‒ Que joliment ces choses là sont dites.
‒ N’est-ce pas ! Alors voici ce que je vous propose…
Une pause, il attend, intéressé.
Elle lui prend le bras, l’entraine.
‒ Vous êtes descendu dans le même hôtel que moi.
Elle lui montre une structure de balcons ouvragés, un chasseur en livrée, trois marches de moquette rouge.
Il opine.
‒ Je suis chambre 312, vous êtes à la 313.
Il ne vérifie même pas.
‒ Elles communiquent entre elles ce qui est bien, mais d’une porte à serrure ce qui est mieux. Nous sommes vous et moi ici pour quinze jours, nous repartons le même samedi à la même heure. Que diriez-vous de passer ces vacances ensemble sans se connaître ? Juste hors du temps pour une quinzaine et puis chacun, chacune, revient à sa vie habituelle comme s’il ne s’était rien passé.
Il adore ce genre d’idées.
‒ Alors, venez, je connais un petit restaurant charmant accroché au coteau à cent mètres d’ici. J’y ai réservé une table pour deux, nous pourrons y conclure cet accord et nous avouer des choses impérissables. Mais d’abord, inventons nos prénoms de voyage. Qu’en pensez-vous ? Quel nom me donneriez-vous ?
Il réfléchit une demie seconde.
‒ Que diriez-vous d’Elvire ?
‒ Elvire, oui ça me plaît. Et vous, je vous appellerai… voyons… un prénom ancien, peu courant mais charmant, Théodore, qu’en dites-vous ?
‒ Eh bien, Théodore je suis et Théodore je serai.
Alors Théodore prend la taille d’Elvire, Elvire pose sa main gantée sur l’épaule de Théodore, et, d’un pas tranquille exactement ajusté l’un à l’autre, le couple se dirige vers le bout de la promenade.
Elle se penche vers lui.
‒ Vous savez, Théodore, pour vous, j’ai mis des bas et…
Il lui pose un doigt sur les lèvres.
‒ Chut Elvire. Voyez-vous, une chose que j’adore par-dessus tout, ce sont les surprises.

Un souvenir.

J’ai retrouvé l’endroit.
J’ai retrouvé la route à peine esquissée qui devient vite un chemin de terre, les quelques virages, les mêmes flaques aux mêmes ornières, puis cette vasque de forêt immense et cachée.
La maison n’a pas changé. Elle était fermée bien sûr, mais telle que dans mon souvenir. La grande cour de falun, les anciennes étables aux multiples portes devenues cabanons et garage, le corps de logis avec les quatre fenêtres des quatre chambres de l’étage dont nous changions chaque jour, et puis cette large ouverture en rez-de-chaussée qui donne sur la cuisine. J’ai retrouvé nos rires, nos plaisirs, nos joies de cette semaine hors du temps.
Il faisait aussi chaud que ces jours-là.
J’ai traversé le pont sur le court ruisseau, longé l’étang, suivi le chemin jusqu’à l’île mais n’aie pas franchi le gué de pierres plates. Il y avait dans ma mémoire un hamac où tu reposais et moi qui le balançait.
Doucement.
Je n’y ai vu personne, pas une âme, comme toujours. Et pourtant la ferme était blanche, les deux étangs transparents, le jardin tondu, le puits nettoyé, la vieille pompe rouge repeinte et les arceaux de verdure entretenus. L’herbe de la rive était rase comme un jardin anglais, la berge silencieuse, d’un silence de canards et d’oiseaux effarouchés ridant le reflet du ciel du bout des ailes.
Je me suis assis devant l’immensité d’eau et je t’ai revue, là, debout sur ce mur.
Chaque jour différente, chaque jour une nouvelle tenue que tu enlevais lentement pour  moi.
Rien que pour moi.
Avant que je te prenne dans mes bras… toute nue dans la lumière.
Alors, j’ai eu l’envie folle de te reprendre, de te ramener ici, de tout recommencer.
Las !
Rien ne fait au temps qui passe et s’envolent les souvenirs…
Dans un beau ciel d’été gorgé de soleil.

Sans titre

Encre de chine sur papier 300g
56 cm par 74 cm

Tableau mis en vente  encadré de noir et protégé sous verre.
Pièce unique, datée, signée.
8000 euros

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creartiss@orange.fr